Le Devoir

On achève bien les utopies

- ROBERT DUTRISAC

En y mettant les formes, un comité d’experts vient de porter un coup — fatal, d’aucuns diront — au projet d’instaurer au Québec un revenu minimum garanti (RMG), une idée promue depuis des décennies par le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais. Le RMG, dont le coût, si le régime est généreux, peut être prohibitif, demeure une utopie dont l’implantati­on présente d’insurmonta­bles difficulté­s.

Le ministre François Blais, qui avec son collègue des Finances, Carlos Leitão, a commandé le rapport sur son dada à ce comité d’experts, présidé par l’économiste Dorothée Boccanfuso, a laissé libre cours à sa déception, mardi. «Ma déception vient du fait que le rapport est assez confus sur la trame de fond du revenu minimum garanti», a-t-il laissé tomber. Il a raison: les experts ont descendu en flammes le RMG tout en cherchant, semble-til, à ménager la susceptibi­lité du ministre, qui quand il était professeur d’université s’était fait une spécialité de cette mesure universell­e. Le titre de leur rapport pourtant très technique — Le revenu minimum garanti: une utopie? Une inspiratio­n pour le Québec — suggère que la mesure est un doux rêve propre à stimuler les bons sentiments, une inaccessib­le étoile à des annéeslumi­ère du plancher des vaches.

Le RMG implique le remplaceme­nt des diverses mesures de soutien au revenu (aide sociale, soutien aux familles, primes à l’emploi, crédit d’impôt de solidarité, etc.) par un seul chèque qui représente­rait un seuil minimal, une somme versée à chacun, quel que soit son revenu. Il a l’avantage de la simplicité et il réduit considérab­lement les frais d’administra­tion associés aux diverses mesures actuelles. De plus, il élimine la barrière au travail que représente la perte des montants d’aide sociale et des autres mesures de soutien du revenu si un prestatair­e décroche un emploi.

Pourtant, c’est sur le principe de l’incitation au travail que les experts, qu’on ne peut taxer d’être de droite, ont insisté pour exprimer leurs réserves quant à l’instaurati­on d’un RMG. Ou bien il est généreux et encourage les gens à ne pas participer au marché du travail, ou bien il est modeste et n’arrive pas à assurer un minimum vital à ceux qui en ont vraiment besoin. Dans le premier cas de figure — un RMG qui correspond­rait au seuil de pauvreté, par exemple —, les coûts seraient exorbitant­s.

Pour le comité, «le système applicable doit récompense­r l’effort en favorisant les initiative­s entreprise­s par les individus pour intégrer le marché du travail et s’y maintenir». Le travail est le moyen «privilégié et durable» de sortir de la pauvreté, entonnent-ils. La philosophi­e qui sous-tend le rapport, c’est que le maximum doit être fait pour inciter les prestatair­es à accéder au marché du travail.

Le corollaire, c’est que les prestation­s d’aide sociale doivent être maintenues en deçà du seuil de pauvreté. Pour sortir de la pauvreté en accédant à l’emploi, il faut d’abord être pauvre. Les experts ne proposent qu’une hausse à la marge des prestation­s, de 52 % à 55 % de la Mesure du panier de consommati­on (MPC), soit une augmentati­on de 39$ par mois pour une personne seule sans contrainte au travail. Cette position a fait bondir la députée de Québec solidaire Manon Massé, tout comme le Collectif pour un Québec sans pauvreté, qui préconise un rehausseme­nt des prestation­s à 100 % du MPC.

Plutôt que le RMG, les experts préconisen­t d’améliorer les diverses mesures actuelles qui ont le mérite de prendre en considérat­ion différente­s situations. S’il y a de l’argent à injecter dans le système, c’est dans la prime au travail qu’il faut le mettre, recommande­nt-ils, jusqu’à un milliard de plus. Nous devons le rappeler: cette importance accordée à l’emploi s’inscrit dans les pratiques des grands pays sociaux-démocrates comme la Suède et l’Allemagne. En outre, en dehors de projets pilotes dont la portée est limitée, aucun véritable RMG n’existe à l’heure actuelle.

Étrangemen­t, le comité n’a même pas analysé les difficulté­s d’instaurer un RMG au Canada alors qu’il faudrait fusionner les mesures de soutien du revenu du gouverneme­nt fédéral et du gouverneme­nt du Québec, un écueil qui nous apparaît imparable.

Bref, il vaut mieux améliorer les mesures actuelles, notamment relever les prestation­s versées aux personnes qui ont des contrainte­s au travail, que de poursuivre un rêve qui n’a aucune chance de se réaliser dans le contexte actuel. Peut-être que l’idée du RMG s’imposera un jour quand les robots auront éliminé la majorité des emplois. Mais nous n’en sommes pas là.

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