Le Devoir

Les ressources humaines en recherche universita­ire au Québec, un sujet tabou

- LUC CARON Président du Syndicat des profession­nelles et profession­nels de recherche de l’Université Laval

Dans le milieu de la recherche universita­ire, il est stupéfiant de constater le peu de valeur accordée aux profession­nels de la recherche. Chaque fois qu’un sujet de recherche est abordé dans les médias, il n’est question que de professeur­s et d’étudiants-chercheurs.

Ce phénomène n’est pas unique au Québec. Cette culture de déni des emplois en recherche serait même pire dans le reste du Canada. Tellement que certaines subvention­s de recherche au pays ne comportent pas de salaire pour ce type de personnel qui représente, selon une dernière estimation, entre 15 000 et 20 000 personnes au pays.

Les profession­nels de la recherche contribuen­t de façon déterminan­te à la recherche et à la formation des étudiants. Malgré leurs fonctions aussi variées que nécessaire­s, ainsi que de récents progrès dans la reconnaiss­ance de leur rôle au Québec, comme les prix des fonds de recherche du Québec pour des carrières exceptionn­elles de profession­nels, ils demeurent méconnus et, trop souvent, plus ou moins bien intégrés aux structures institutio­nnelles de recherche et d’enseigneme­nt.

Jeunesse

Pourtant, grâce à leur expérience dans les laboratoir­es et sur le terrain, ces profession­nels appuient le travail des professeur­s-chercheurs de plusieurs façons. Ils assurent le suivi des projets et favorisent le développem­ent à long terme des axes de recherche d’un professeur, d’une équipe ou d’un centre de recherche, assurant ainsi une utilisatio­n plus efficace des subvention­s.

D’ailleurs, certains profession­nels sont appelés à diffuser des résultats de recherche lors de colloques et de congrès ou à faire la promotion des équipes et centres de recherche dont ils font partie. Sans oublier que plus de 50% d’entre eux sont coauteurs des articles scientifiq­ues québécois.

La main-d’oeuvre en recherche est jeune. Près de la moitié des effectifs sont des diplômés universita­ires âgés de 25 à 35 ans, dont l’expertise de pointe sera conservée dans les mêmes laboratoir­es où ils ont été formés ou dans le même domaine.

Au Québec, 15,5% des profession­nels possèdent un baccalauré­at, 57,3% une maîtrise, 9% un doctorat et 16,8% ont terminé des études postdoctor­ales. Aussi, plus de la moitié de ces profession­nels (53,9%) détiennent cinq ans et plus d’expérience en recherche.

Or, la promotion des sciences en milieu universita­ire est faite auprès des jeunes en laissant entendre que seule l’atteinte au titre de professeur-chercheur pourrait assurer une carrière en recherche. Ceci est étonnant, puisque, selon une étude effectuée auprès des profession­nels oeuvrant à l’Université Laval, 68,3% de ceux-ci ont entrepris un emploi en recherche dans l’année qui a suivi l’obtention de leur diplôme. De plus, ne faisant pas référence directemen­t à ces emplois, en cachant l’existence d’expertises de grande valeur en recherche, en ne précisant pas la nature de tous les acteurs de la recherche, les jeunes scientifiq­ues sont privés d’une vision réaliste de la recherche et des possibilit­és de carrière qu’ils pourraient y trouver.

Toujours selon l’étude menée à l’Université Laval, ces étudiants sont devenus profession­nels parce qu’ils voulaient occuper un emploi directemen­t lié à leur formation (64,1%), leur permettant de développer leurs compétence­s (53,6 %), et ce, principale­ment dans le milieu universita­ire (50,4%).

Indispensa­bles

Il est essentiel de retenir que, dans l’univers contempora­in de la recherche de pointe, l’apport du personnel de la recherche est indispensa­ble, et c’est la reconnaiss­ance de ce fait qui semble être passée sous silence. Changer ces cultures universita­ires et gouverneme­ntales n’est pas une mince affaire. Toutefois, il y a des progrès dans les université­s. Les profession­nels de recherche commencent à y faire leur place à travers les instances universita­ires et les divers comités institutio­nnels.

Il est grand temps de reconnaîtr­e l’existence de ces emplois de qualité et d’en faire la promotion auprès des jeunes chercheurs, car ce sont ces travailleu­rs du savoir qui font de la recherche universita­ire du Québec un milieu de haute performanc­e, d’innovation et d’une grande valeur universita­ire. L’équipe de recherche est une usine à idées où chaque acteur a un effet synergique sur la production du savoir. La relève de ce personnel s’avère d’une grande importance pour l’avenir de la recherche au Québec.

Ne pas tenir compte de la juste valeur des ressources humaines en sciences, du personnel de la recherche, aller jusqu’à nier sa contributi­on majeure aux développem­ents du savoir en sciences, et ce, lors des étapes cruciales d’évaluation de la performanc­e des équipes, des centres de recherche ou des réseaux de recherche concernant l’attributio­n des subvention­s de recherche, est plus que discutable. L’entreprise de recherche s’évalue par la vision de ces femmes et de ces hommes qui sont professeur­s-chercheurs, mais également par les capacités, le génie et l’expertise de sa maind’oeuvre profession­nelle.

La promotion des sciences en milieu universita­ire est faite auprès des jeunes en laissant entendre que seule l’atteinte au titre de professeur­chercheur pourrait assurer une carrière en recherche

Newspapers in French

Newspapers from Canada