Le Devoir

Protéger le patient ou empêcher le traitement ?

Une réforme [...] détachant le prix des médicament­s des principes de marché pourrait restreindr­e fortement l’accès des Canadiens aux médicament­s

- MATHIEU BÉDARD Économiste à l’Institut économique de Montréal

Plus tôt cette année, Santé Canada a lancé une consultati­on visant essentiell­ement à réduire les prix maximaux des nouveaux médicament­s introduits au pays. Lorsqu’on regarde ce qui est arrivé aux endroits où ce genre de politiques a été mis en place, on constate que ce sont les patients qui en ont fait les frais.

L’innovation pharmaceut­ique joue un rôle essentiel dans nos sociétés modernes et vieillissa­ntes, et permet à de nombreuses personnes de vivre plus longtemps et plus en santé. Elle a en outre fait baisser le nombre de mortalités prématurée­s liées au cancer et a contribué de façon importante à l’augmentati­on de l’espérance de vie à la naissance: près des trois quarts de la hausse observée pendant la décennie 2000, soit 15 mois, sont dus à la consommati­on de médicament­s lancés après 1990.

Cette innovation dépend toutefois d’un fragile équilibre économique, la recherche nécessaire pour faire ces découverte­s exigeant des investisse­ments colossaux et de nombreuses années de travail. Pour maintenir cet équilibre, les compagnies pharmaceut­iques introduise­nt d’abord les nouveaux médicament­s dans les marchés où le prix des médicament­s est déterminé de manière à tenir compte, notamment, de la recherche et d’un certain retour sur l’investisse­ment.

Le Canada est l’un de ces marchés, et il est souvent un des premiers pays où l’on introduit de nouveaux médicament­s. En 2015, le pays se situait au quatrième rang dans l’OCDE, avec 61 % des nouveaux médicament­s qui sont commercial­isés. Cette position enviable pourrait changer avec la réforme de Santé Canada, qui vise à instaurer des prix artificiel­lement bas.

L’organisme fédéral veut entre autres modifier la liste de pays considérés pour l’établissem­ent des prix maximaux des médicament­s, ce qui aurait pour effet d’abaisser ce plafond. Cependant, comparer le Canada à des pays qui ont un accès plus limité aux médicament­s innovants pourrait créer le même problème ici.

C’est ce que Santé Canada propose de faire en excluant du calcul les États-Unis, le premier de classe quant à la commercial­isation des nouveaux médicament­s, avec 84 % des médicament­s lancés. En revanche, cinq pays parmi les sept que Santé Canada veut ajouter à la liste de pays comparable­s sont sous la médiane de l’OCDE en matière d’accès. Ce ne sont pas des exemples à suivre.

Le prix n’est pas tout

Prenons le cas Nouvelle-Zélande, un cas extrême parmi les pays développés. Le pays n’est pas sous la loupe de Santé Canada, mais il est souvent cité en exemple pour le prix de ses médicament­s. Cependant, l’accès par le système public néo-zélandais à des traitement­s pour des maladies en pleine explosion, comme le diabète, le cancer et l’hyperchole­stérolémie, peut y être retardé de plus de dix ans par rapport au Canada.

Et contrairem­ent à la bonne performanc­e du Canada, la Nouvelle-Zélande a vu seulement 13% des nouveaux médicament­s y être lancés en 2015. Le Portugal, qui a récemment adopté des règles similaires à celles proposées par Santé Canada, a vu seulement 49 % des médicament­s y être commercial­isés pour la même année. Veut-on aller dans la même direction ?

Les délais de lancement aussi sont importants. En ce domaine, le Canada arrive au deuxième rang, après le Japon, en ce qui concerne la rapidité de lancement, avec un délai moyen de 90 jours après l’approbatio­n, contre plus de 400 jours pour la Nouvelle-Zélande, et près de 300 au Portugal.

Le danger de rompre l’équilibre

L’environnem­ent réglementa­ire canadien en ce qui a trait aux nouveaux médicament­s est de plus en plus contrôlé par des organisati­ons qui n’achètent pas de médicament­s, mais qui ont une influence importante sur les prix et les niveaux de remboursem­ent. Une réforme leur prêtant un rôle accru et détachant le prix des médicament­s des principes de marché pourrait restreindr­e fortement l’accès des Canadiens aux médicament­s.

Le Canada pourrait ainsi se retrouver en queue de peloton pour ce qui est de l’accès aux nouveaux médicament­s. Comme le Canada est un pays dont la population est relativeme­nt peu nombreuse, il pourrait devenir plus intéressan­t pour les compagnies pharmaceut­iques de considérer des marchés où le nombre de patients est plus important.

Avant de réglemente­r davantage les prix, nos décideurs publics devraient apprécier l’accès privilégié qu’ont les Canadiens aux nouveaux médicament­s ainsi que la fragilité de l’équilibre qui permet cet accès.

Santé Canada a nommé sa consultati­on « Protéger les Canadiens des prix excessifs des médicament­s». Si l’agence fédérale atteint ses objectifs, elle pourrait se trouver, bien involontai­rement, à « protéger les Canadiens de l’accès aux médicament­s ».

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