Le Devoir

Par l’écho de leurs voix complices

Marc Beaupré raconte le récit mythique de L’Iliade en faisant de la scène un royaume

- CHLOÉ GAGNÉ DION Collaborat­rice Le Devoir

L’ILIADE Texte d’Homère. Libre adaptation et mise en scène de Marc Beaupré, inspirée du livre Homère, Iliade d’Alessandro Baricco (2004). Jusqu’au 6 décembre au Théâtre Denise-Pelletier, en coproducti­on avec Terre des hommes.

Chantée et récitée pendant des siècles, l’aventure mythique de L’Iliade reprend en quelque sorte sa forme originelle sur le grand plateau du théâtre Denise-Pelletier. Le metteur en scène et «rapiéceur» d’histoires Marc Beaupré relate le récit homérique en misant avec confiance sur le pouvoir des voix et des mots. La pièce convoque la puissance de l’imaginaire, et ses quelques imperfecti­ons sont faciles à oublier.

La série d’histoires façonnant L’Iliade est racontée par un choeur qui se partage les répliques et les personnage­s avec une complicité et une impression de facilité qui envoûtent. La distributi­on forte, tout de même dominée par JeanFranço­is Nadeau et Emmanuel Schwartz, met en avant autant les drames d’Achille, d’Hector et de Priam, que ceux d’Andromaque, Cassandre, Ménélas, Patrocle, Agamemnon et Pâris.

Les épisodes se succèdent avec une remarquabl­e clarté grâce à la redoutable précision de la mise en scène de Beaupré. Investissa­nt la plasticité des mots, il les fait chanter et scander selon des rythmes lancinants. Il double aussi ponctuelle­ment les mots en employant le langage des signes, point central d’une gestuelle tour à tour illustrati­ve et non réaliste qui soutient toutes les paroles du spectacle. C’est ainsi que L’Iliade évoque jusqu’à rendre visibles des lieux, des casques, des combats, et même une guerre.

En plus de la rigueur de l’interpréta­tion, des conception­s impression­nantes nourrissen­t l’aspect spectacula­ire de la pièce. La vaste scène laissant voir les murs dépouillés du théâtre est garnie d’éléments flottants, polysémiqu­es, renvoyant peut-être aux dieux qui ont été évacués du récit. Les lumières d’Étienne Boucher découpent magnifique­ment la scénograph­ie conçue par François Blouin, s’y logent, s’y reflètent, y répondent.

En travaillan­t le son, Stéfan Boucher et Olivier Landry-Gagnon participen­t aussi à modeler les voix, à sculpter les espaces. Une partie de la musique qu’ils signent paraît parfois un peu coincée, entre un hip-hop maladroit et un ton récitatif pas toujours assumé. Cependant généraleme­nt inspirées, leurs compositio­ns proposent des moments de dense intensité qui confèrent une force aux scènes plus délicates.

L’Iliade raconte la guerre, mais ce sont dans les scènes d’introspect­ion des humains qui guerroient, dans les querelles et leurs résolution­s, que la colère, l’orgueil, la peur et le désespoir se déploient avec ampleur et gravité pour donner accès aux possibles sens du spectacle. Et c’est peut-être à cause de ce fil signifiant ténu, ou encore par la nature du récit et des thèmes, que la représenta­tion spectacula­ire ne provoque pas le bouleverse­ment sensoriel et émotif susceptibl­e d’accompagne­r le grandiose soigneusem­ent bâti par Beaupré et son équipe.

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GUNTHER GAMPER La série d’histoires façonnant L’Iliade est racontée par un choeur qui se partage les répliques et les personnage­s avec une complicité et une impression de facilité qui envoûtent.

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