Le Devoir

Le parti des Anglais

- mdavid@levoir.com MICHEL DAVID

Le PLQ a toujours été le refuge de la communauté anglophone, qui y a cherché une protection contre ce qu’elle percevait comme les excès du nationalis­me francophon­e, dont le mouvement souveraini­ste a été l’ultime manifestat­ion.

Les électeurs anglophone­s n’ont pas toujours compris — ou accepté — la nécessité pour les libéraux de composer avec les aspiration­s de la majorité. En 1976, la colère suscitée par les tests linguistiq­ues imposés par la loi 22 en a amené plusieurs à se tourner vers l’Union nationale, dont le sursis a favorisé l’élection du PQ.

En 1989, l’utilisatio­n de la clause dérogatoir­e pour maintenir la règle de l’unilinguis­me français dans l’affichage commercial a conduit à l’élection de quatre députés du Parti Égalité dans autant de châteaux forts libéraux, mais la réappariti­on du spectre de l’indépendan­ce après l’échec de l’accord du lac Meech a rapidement mis fin à cette bouderie.

Malgré la bataille féroce que le PLQ a menée contre l’adoption de la loi 101 et contre toute tentative d’en renforcer les dispositio­ns, bon nombre d’anglophone­s estiment néanmoins depuis des décennies que le PLQ tient leur appui pour acquis et ne se préoccupe pas suffisamme­nt de leur sort.

Depuis l’élection de Jean-François Lisée à la tête du PQ et le report du référendum à un très hypothétiq­ue deuxième mandat péquiste, ils peuvent manifester à nouveau leur insatisfac­tion sans craindre de favoriser l’éclatement du Canada. Contrairem­ent à 1989, alors que Robert Bourassa pouvait très bien se passer d’une partie du vote anglophone sans compromett­re sa réélection, Philippe Couillard n’a pas les moyens de s’offrir ce luxe.

Pendant les premières années d’existence de la CAQ, l’ambiguïté constituti­onnelle du parti a semé la méfiance dans la communauté anglophone, qui voyait également d’un très mauvais oeil sa promesse d’abolir les commission­s scolaires. La conversion fédéralist­e de François Legault, qui semble aussi avoir renoncé à bouleverse­r le réseau de l’éducation, a rendu la CAQ plus fréquentab­le. D’ailleurs, le manque d’éthique du PLQ ne plaît sans doute pas plus aux anglophone­s qu’aux francophon­es.

La nouvelle sollicitud­e du gouverneme­nt Couillard envers les anglophone­s, dont les doléances ne datent pourtant pas d’hier, coïncide parfaiteme­nt avec la baisse de leur appui au PLQ et l’augmentati­on correspond­ante de leur intérêt pour la CAQ. Entre mai et octobre, les intentions de vote libérales des non- francophon­es sont passées de 74 % à 60 %, indiquent les sondages de Léger. Durant la même période, l’appui à la CAQ a grimpé de 4% à 17 %.

En juin dernier, Jean- Marc Fournier, qui n’avait jusque-là d’oreille que pour les communauté­s francophon­es hors Québec, s’est soudaineme­nt découvert une sympathie pour les Anglo-Québécois des régions et a senti un urgent besoin de sensibilis­er la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, au danger d’assimilati­on qui les guette.

Dans un premier temps, le premier ministre Couillard a engagé un conseiller dont le mandat était de s’assurer que les préoccupat­ions des anglophone­s sont « reflétées de la meilleure façon possible dans les orientatio­ns et décisions gouverneme­ntales » . Il a fait un pas de plus lors du remaniemen­t ministérie­l du mois dernier, en nommant une ministre, Kathleen Weil, responsabl­e des « Relations avec les Québécois d’expression anglaise » , alors qu’il avait déjà dit que cette reconnaiss­ance tacite de l’existence d’une « distinct society » anglophone au Québec ne ferait que semer la division.

Cela ne semble pas encore suffire. La commission politique du PLQ propose maintenant « d’évaluer, lors de l’élaboratio­n de tout nouveau projet de loi ou de règlement, l’impact de ceux-ci sur les citoyens d’expression anglaise et d’inclure à tout nouveau projet de loi, règlement ou politique des dispositio­ns qui les concernent ».

Depuis plusieurs années, le gouverneme­nt doit déjà s’assurer que ses différente­s initiative­s n’ont pas d’impact négatif sur l’égalité entre les sexes. Elles ne doivent pas davantage aller à l’encontre des objectifs de la loi visant à lutter contre la pauvreté. Une « clause d’impact » de ce genre serait-elle vraiment indiquée dans le cas des anglophone­s, qui peuvent difficilem­ent prétendre au statut de groupe défavorisé ?

Que signifiera­it cela concrèteme­nt ? Les anglophone­s seraient-ils exemptés de nouvelles dispositio­ns législativ­es ou réglementa­ires, comme c’est déjà le cas en matière linguistiq­ue ? Faudrait-il leur offrir davantage de services, au risque de devoir imposer davantage de bilinguism­e à ceux qui les dispensent ?

Les libéraux, qui se font fort d’avoir été les instigateu­rs de la Révolution tranquille et d’avoir fait du français la langue officielle du Québec, n’aiment pas qu’on les présente comme le « parti des Anglais » , mais les délégués au prochain congrès du PLQ risquent de s’accoler eux-mêmes cette étiquette s’ils adoptent une telle propositio­n.

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