Le Devoir

Obstacle à une vraie victoire pour le climat

Les banques et Desjardins continuent de financer les sables bitumineux en Alberta

- GHISLAIN PICARD Chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador SERGE SIMON Grand chef du Conseil mohawk de Kanesatake

Alors que des représenta­nts de quelque 180 pays discutent cette semaine à Bonn, en Allemagne, des solutions à apporter à la crise climatique et que 15 000 scientifiq­ues d’à travers le monde ont profité de l’occasion pour lancer un avertissem­ent urgent que l’humanité court à sa perte, les banques, et même Desjardins, continuent de financer le pétrole le plus sale au monde — les sables bitumineux en Alberta.

C’est pourquoi les chefs des Premières Nations au Québec et au Labrador, réunis en assemblée de l’APQNL à Montréal le 31 octobre dernier, ont adopté une résolution exigeant que Desjardins tourne le dos au financemen­t des trois projets de pipelines de sables bitumineux qu’il reste à la suite de l’abandon du projet Énergie Est: Trans Mountain Expansion de Kinder Morgan, Keystone XL de TransCanad­a et Ligne 3 d’Enbridge.

Cette résolution fait suite à une rencontre en septembre entre des dirigeants de Desjardins et des représenta­nts, dont les soussignés, de l’alliance de 150 Premières Nations du Canada et des États-Unis qui ont signé le Traité autochtone contre l’expansion des sables bitumineux. Depuis la signature du traité, le mouvement contre l’expansion des sables bitumineux a grandement contribué à arrêter définitive­ment deux projets de pipelines qui auraient permis cette expansion : Énergie Est de TransCanad­a et Northern Gateway d’Enbridge.

Sans nouveaux pipelines, il ne peut y avoir d’augmentati­on importante de la production des sables bitumineux. C’est pourquoi la constructi­on de l’un ou l’autre des trois projets de pipelines de sables bitumineux restants transforme­rait la mort d’Énergie Est en victoire creuse.

L’abandon d’Énergie Est ne veut donc pas dire que la par tie est gagnée, loin de là. Le risque d’une augmentati­on massive des émissions de gaz à effet de serre et d’accélérati­on de la crise climatique est toujours là et les risques de contaminat­ion de l’eau ont simplement été déplacés ailleurs, mettant à risque d’autres Premières Nations et d’autres communauté­s.

Cette demande auprès de Desjardins s’insère dans le cadre d’une campagne mondiale de désinvesti­ssement menée par les peuples autochtone­s appelée Mazaska Talks ( mazaska veut dire « argent » en lakota) et visant les institutio­ns financière­s qui financent les sables bitumineux ainsi que les pipelines qui aggravent ce fléau climatique.

Une institutio­n financière ne peut prétendre être moindremen­t « verte » et respecter les droits des Premières Nations si elle continue à financer les pipelines de sables bitumineux. En particulie­r, un groupe financier coopératif comme Desjardins, qui est le plus important au Québec, qui se dit sensible aux questions sociales et environnem­entales, ne devrait pas être associé à des projets qui violent les droits des Premières Nations.

La banque française BNP Paribas, l’une des plus grosses banques au monde, a compris le message. Dans une grande victoire, BNP Paribas a annoncé tout récemment qu’elle ne financerai­t plus les pipelines de sables bitumineux ni des entreprise­s dont l’essentiel des activités repose sur les sables bitumineux, le gaz ou le pétrole de schiste ainsi que le pétrole en Arctique.

Desjardins annoncera bientôt la suite qu’elle donnera au moratoire temporaire qu’elle a institué cet été sur le financemen­t et les investisse­ments dans les pipelines. Un moratoire pour les projets futurs est assurément une bonne chose. Toutefois, afin de respecter les droits des Premières Nations, il faut aller plus loin. Desjardins doit se départir des centaines de millions de dollars de prêts qu’elle a accordés aux sociétés de pipelines de sables bitumineux TransCanad­a, Kinder Morgan et Enbridge, y compris les 145 millions de dollars prêtés à Kinder Morgan pour son projet de pipeline Trans Mountain Expansion, et ce, juste avant l’imposition du moratoire.

Ces entreprise­s sont en guerre contre les Premières Nations et contre la planète. Les chefs des Premières Nations au Québec et au Labrador tendent la main à Desjardins afin de l’inviter à choisir le bon camp.

Une institutio­n financière ne peut prétendre être moindremen­t « verte » [...] si elle continue à financer les pipelines de sables bitumineux

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