Le Devoir

Perspectiv­es › Aurez-vous encore un emploi demain? Notre dossier sur la révolution du travail.

Les premières machines dotées d’intelligen­ce artificiel­le avancée pourraient rendre obsolètes des milliers d’emplois

- ISABELLE PARÉ

«L’intelligen­ce artificiel­le touchera aussi les emplois de personnes diplômées au collégial, » et même des profession­nels Martin Ford, auteur de Rise of the Robots

Aurez-vous encore besoin d’un avocat pour régler vos litiges, d’un radiologue pour lire vos derniers rayons X, d’un garagiste pour réparer votre voiture ou même d’un chauffeur de taxi pour vous rendre à l’aéroport?

Depuis quelques années, la 4e révolution industriel­le annoncée est bel et bien en marche. L’arrivée des premières machines dotées d’intelligen­ce artificiel­le (IA) capables d’apprentiss­age profond pourrait rendre obsolètes les emplois de pans entiers de l’économie. En 2014, l’auteur de The Second Machine Age, Andrew MacAfee, affirmait que pas moins de 47% des emplois de l’économie américaine, notamment ceux liés à la mécanique, se volatilise­ront d’ici 20 ans dans le sillage de l’automatisa­tion. Le cabinet-conseil McKinsey évalue quant à lui l’hécatombe à sept millions d’emplois perdus chez nos voisins du sud d’ici 2020.

L’impact au Canada

Pas besoin d’être devin pour déduire que l’on revivra à répétition le coup des employés de banque remplacés par des guichets automatiqu­es. Mais l’IA repousse plus que jamais les frontières des tâches qui pourront désormais être accomplies

par des machines « apprenante­s ».

Au Canada, les avis divergent. Le Brookfield Institute de l’Université Ryerson, à Toronto, évalue à 42% la maind’oeuvre détenant des emplois «à risque» d’être transformé­s ou occupés par de «super-machines» d’ici deux décennies. Au premier rang, on compte sans surprise les caissiers, les opérateurs de machinerie lourde, les secrétaire­s, mais aussi les assistants administra­tifs, les courtiers de tout acabit, les inspecteur­s, les technicien­s et les ingénieurs civils. Autant de métiers où des robots capables d’apprentiss­age seront un jour plus performant­s qu’un être humain.

«Cela touchera […] aussi les emplois de personnes qui ont des diplômes collégiaux, et même des profession­nels, comme les avocats qui répètent des tâches assez prévisible­s», affirme Martin Ford, auteur de

Rise of the Robots, dans une entrevue accordée à Wired.

«Ce sera très difficile pour les gens sur le marché de l’emploi depuis 30 ans, surtout ceux qui sont dans le domaine de la gestion. Même dans les postes de direction, il faudra revoir les façons de faire», affirme Jodie Wallis, directrice générale de AI Canada, à la firme-conseil Accenture.

Lors de son récent passage à Montréal, cette promotrice du virage vers l’IA a minimisé la tempête annoncée par cette révolution du travail, limitant plutôt à 16% les pertes potentiell­es

d’emplois au Canada et à 9% la création d’emplois générés par ce nouveau pan de l’économie. «L’impact serait une perte réelle de 7%», mesure-t-elle.

Pour Jodie Wallis, il ne fait pas de doute que les retombées de l’IA ne frapperont pas que les emplois situés au bas de l’échelle, mais aussi nombre de profession­nels. «Les machines seront plus efficaces que les humains pour plusieurs tâches. Mais les humains demeureron­t plus habiles pour exercer un jugement critique et prendre des décisions éthiques ou créatives. Ça va changer la nature du travail dans plusieurs secteurs de l’emploi», souligne la directrice d’Accenture.

«Le XXIe siècle s’est adapté à l’ère de l’informatiq­ue. La seule différence, c’est que l’innovation et la perturbati­on se feront cette fois à un rythme sans précédent. Oui, ces technologi­es sont susceptibl­es de créer une fracture sociale. C’est pourquoi il faut s’y préparer tout de suite», a-t-elle martelé.

Emboîter le pas

Le tiers des habiletés aujourd’hui requises dans la plupart des emplois ne seront plus essentiell­es dans la nouvelle économie de l’IA. Dans The Future of Jobs, une étudechoc dévoilée par le Forum économique mondial en 2016, l’organisme estimait que 65% des emplois qu’occuperont demain les enfants d’âge primaire n’existent pas encore aujourd’hui. Comment se préparer à un avenir dont on ignore même la couleur ?

Pour Mme Wallis, le fait que plusieurs grands joueurs de l’IA soient implantés dans la métropole (Microsoft, Samsung, DeepMind de Google), ainsi que l’équipe de Yoshua Bengio du MILA (Montréal Institute for Learning Algorythms) de l’Université de Montréal, place le Canada en bonne position pour prendre les devants, bénéficier des bienfaits de ces technologi­es et en minimiser les impacts négatifs.

«Des programmes de recyclage seront nécessaire­s, pas seulement pour les ingénieurs et les sciences informatiq­ues, mais dans tous les domaines, comme le droit, la médecine, l’éducation et les sciences sociales», affirme Mme Wallis.

Une révolution pour qui?

Si l’on se fie aux révolution­s industriel­les passées, le professeur Yochaï Benkler, de l’Université de Harvard, codirecteu­r du Berkman Klein Center for Internet and Society, prédit que celle qui nous attend accélérera plus que jamais la concentrat­ion des pouvoirs entre les mains d’une poignée de grands joueurs.

«L’histoire a démontré que toute nouvelle technologi­e a accru la concentrat­ion des pouvoirs. Au XXe siècle, il était concentré entre les mains de milliers d’industriel­s ; aujourd’hui, il se retrouve entre les mains des seuls Google, Amazon, Facebook et Apple», a-t-il déclaré lors d’une conférence à l’Université de Montréal.

Pour que les travailleu­rs et la société tirent des bénéfices des technologi­es de l’IA, il faudra des chiens de garde et des balises très claires. «Toutes les technologi­es créent des bouleverse­ments. Le problème, ce n’est pas la technologi­e, ce sont les lois et les politiques que l’on met ou non en place pour les encadrer. »

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