Perspectives › Aurez-vous encore un emploi demain? Notre dossier sur la révolution du travail.
Les premières machines dotées d’intelligence artificielle avancée pourraient rendre obsolètes des milliers d’emplois
«L’intelligence artificielle touchera aussi les emplois de personnes diplômées au collégial, » et même des professionnels Martin Ford, auteur de Rise of the Robots
Aurez-vous encore besoin d’un avocat pour régler vos litiges, d’un radiologue pour lire vos derniers rayons X, d’un garagiste pour réparer votre voiture ou même d’un chauffeur de taxi pour vous rendre à l’aéroport?
Depuis quelques années, la 4e révolution industrielle annoncée est bel et bien en marche. L’arrivée des premières machines dotées d’intelligence artificielle (IA) capables d’apprentissage profond pourrait rendre obsolètes les emplois de pans entiers de l’économie. En 2014, l’auteur de The Second Machine Age, Andrew MacAfee, affirmait que pas moins de 47% des emplois de l’économie américaine, notamment ceux liés à la mécanique, se volatiliseront d’ici 20 ans dans le sillage de l’automatisation. Le cabinet-conseil McKinsey évalue quant à lui l’hécatombe à sept millions d’emplois perdus chez nos voisins du sud d’ici 2020.
L’impact au Canada
Pas besoin d’être devin pour déduire que l’on revivra à répétition le coup des employés de banque remplacés par des guichets automatiques. Mais l’IA repousse plus que jamais les frontières des tâches qui pourront désormais être accomplies
par des machines « apprenantes ».
Au Canada, les avis divergent. Le Brookfield Institute de l’Université Ryerson, à Toronto, évalue à 42% la maind’oeuvre détenant des emplois «à risque» d’être transformés ou occupés par de «super-machines» d’ici deux décennies. Au premier rang, on compte sans surprise les caissiers, les opérateurs de machinerie lourde, les secrétaires, mais aussi les assistants administratifs, les courtiers de tout acabit, les inspecteurs, les techniciens et les ingénieurs civils. Autant de métiers où des robots capables d’apprentissage seront un jour plus performants qu’un être humain.
«Cela touchera […] aussi les emplois de personnes qui ont des diplômes collégiaux, et même des professionnels, comme les avocats qui répètent des tâches assez prévisibles», affirme Martin Ford, auteur de
Rise of the Robots, dans une entrevue accordée à Wired.
«Ce sera très difficile pour les gens sur le marché de l’emploi depuis 30 ans, surtout ceux qui sont dans le domaine de la gestion. Même dans les postes de direction, il faudra revoir les façons de faire», affirme Jodie Wallis, directrice générale de AI Canada, à la firme-conseil Accenture.
Lors de son récent passage à Montréal, cette promotrice du virage vers l’IA a minimisé la tempête annoncée par cette révolution du travail, limitant plutôt à 16% les pertes potentielles
d’emplois au Canada et à 9% la création d’emplois générés par ce nouveau pan de l’économie. «L’impact serait une perte réelle de 7%», mesure-t-elle.
Pour Jodie Wallis, il ne fait pas de doute que les retombées de l’IA ne frapperont pas que les emplois situés au bas de l’échelle, mais aussi nombre de professionnels. «Les machines seront plus efficaces que les humains pour plusieurs tâches. Mais les humains demeureront plus habiles pour exercer un jugement critique et prendre des décisions éthiques ou créatives. Ça va changer la nature du travail dans plusieurs secteurs de l’emploi», souligne la directrice d’Accenture.
«Le XXIe siècle s’est adapté à l’ère de l’informatique. La seule différence, c’est que l’innovation et la perturbation se feront cette fois à un rythme sans précédent. Oui, ces technologies sont susceptibles de créer une fracture sociale. C’est pourquoi il faut s’y préparer tout de suite», a-t-elle martelé.
Emboîter le pas
Le tiers des habiletés aujourd’hui requises dans la plupart des emplois ne seront plus essentielles dans la nouvelle économie de l’IA. Dans The Future of Jobs, une étudechoc dévoilée par le Forum économique mondial en 2016, l’organisme estimait que 65% des emplois qu’occuperont demain les enfants d’âge primaire n’existent pas encore aujourd’hui. Comment se préparer à un avenir dont on ignore même la couleur ?
Pour Mme Wallis, le fait que plusieurs grands joueurs de l’IA soient implantés dans la métropole (Microsoft, Samsung, DeepMind de Google), ainsi que l’équipe de Yoshua Bengio du MILA (Montréal Institute for Learning Algorythms) de l’Université de Montréal, place le Canada en bonne position pour prendre les devants, bénéficier des bienfaits de ces technologies et en minimiser les impacts négatifs.
«Des programmes de recyclage seront nécessaires, pas seulement pour les ingénieurs et les sciences informatiques, mais dans tous les domaines, comme le droit, la médecine, l’éducation et les sciences sociales», affirme Mme Wallis.
Une révolution pour qui?
Si l’on se fie aux révolutions industrielles passées, le professeur Yochaï Benkler, de l’Université de Harvard, codirecteur du Berkman Klein Center for Internet and Society, prédit que celle qui nous attend accélérera plus que jamais la concentration des pouvoirs entre les mains d’une poignée de grands joueurs.
«L’histoire a démontré que toute nouvelle technologie a accru la concentration des pouvoirs. Au XXe siècle, il était concentré entre les mains de milliers d’industriels ; aujourd’hui, il se retrouve entre les mains des seuls Google, Amazon, Facebook et Apple», a-t-il déclaré lors d’une conférence à l’Université de Montréal.
Pour que les travailleurs et la société tirent des bénéfices des technologies de l’IA, il faudra des chiens de garde et des balises très claires. «Toutes les technologies créent des bouleversements. Le problème, ce n’est pas la technologie, ce sont les lois et les politiques que l’on met ou non en place pour les encadrer. »