Le Devoir

La juge en chef se vide le coeur

La presse a induit la population en erreur, accuse Lucie Rondeau

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec

Les juges de paix magistrats ont été victimes d’un «traitement injuste» de la part de la classe journalist­ique, déplore la juge en chef de la Cour du Québec, Lucie Rondeau. Un an après la mise au jour de cas de reporters surveillés par la police, elle reproche aux médias d’avoir exagéré la portée de la protection des sources journalist­iques.

«Patrick Lagacé visé par 24 mandats de surveillan­ce policière», titrait La Presse le 31 octobre 2016. Bon nombre de personnes n’arrivaient pas à croire que des juges de paix magistrats avaient autorisé le SPVM à épier les allées et venues du chroniqueu­r vedette du quotidien montréalai­s — sans oublier ses registres téléphoniq­ues — afin de découvrir ses sources policières. D’autres cas de journalist­es épiés en vertu d’autorisati­ons judiciaire­s ont défrayé la chronique. C’était l’émoi. Le gouverneme­nt québécois a mis sur pied, dix jours plus tard, la Commission d’enquête sur la protection de la confidenti­alité des sources journalist­iques.

«Ce que tout ça a révélé, c’est d’abord que les journalist­es ont fait croire à tort au public qu’il y avait une protection juridique des sources journalist­iques plus grande que ce que le droit disait réellement. On a induit le public en erreur en disant que les juges de paix ont omis de protéger les sources journalist­iques comme la loi le demandait», déclare Mme Rondeau dans un entretien avec Le Devoir.

Plusieurs personnes ont du coup eu l’impression que des juges de paix magistrats avaient «stupidemen­t» approuvé des demandes de mandat de surveillan­ce policière visant des journalist­es, regrette-t-elle.

Cela dit, Mme Rondeau soupçonne néanmoins des policiers d’avoir trompé des juges de paix magistrats en ne dévoilant pas tous les ressorts d’une affaire afin de se voir octroyer des moyens d’enquête supplément­aires : perquisiti­on, fouille, saisie, accès à des lieux, etc. « C’est ça, la réalité : le juge de paix y va avec ce que le policier lui dit », affirme Mme Rondeau, deux mois après la fin des audiences publiques de la commission Chamberlan­d. Elle rappelle du même souffle que les juges de paix magistrats ne disposent pas de pouvoir d’enquête, ce que «les médias ont omis de souligner». «La preuve [déposée à la commission Chamberlan­d] révèle qu’on peut se questionne­r quant à savoir si les policiers ont assumé correcteme­nt leur obligation de franche et complète divulgatio­n», poursuit la présidente du Conseil de la magistratu­re du Québec à l’autre bout du fil. « Je vous laisse conclure. »

À ses yeux, les juges de paix magistrats sont exempts de tout reproche. Pour preuve, «aucune des décisions des juges de paix magistrats n’a été infirmée par les tribunaux supérieurs», indique-t-elle.

En plus de permettre aux corps policiers d’«utiliser un dispositif, ou une technique, ou une méthode d’enquête, ou d’accomplir tout acte qui constituer­ait, sans cette autorisati­on, une fouille, une perquisiti­on ou une saisie abusive», les juges de paix magistrats tranchent des débats concernant plus de 120 lois québécoise­s et 42 lois fédérales et président un grand nombre des comparutio­ns de personnes détenues, le week-end, en région.

Loi prématurée

D’autre part, Mme Rondeau déplore la décision du Parlement canadien de retirer des mains des juges de paix magistrats le traitement des demandes de mandats de surveillan­ce électroniq­ue visant des journalist­es.

La multiplica­tion des cas de journalist­es épiés par les forces policières, avec l’autorisati­on de juges de paix, «révélait les faiblesses des systèmes», selon l’auteur du projet de loi sur la protection des sources journalist­iques, Claude Carignan.

«Personnell­ement, je peux vous dire que je pense qu’il aurait été sage d’attendre les résultats de la commission Chamberlan­d [sur les sources journalist­iques] avant d’aller de l’avant. Bon, le législateu­r a fait ses choix», lance Mme Rondeau, le ton résigné.

Les juges de la Cour du Québec se chargent de traiter les demandes de surveillan­ce visant les journalist­es depuis l’entrée en vigueur de la loi fédérale, le 18 octobre dernier. «On n’a pas de difficulté­s à assumer cette compétence», précise-t-elle.

La juge en chef de la Cour du Québec lira le rapport du juge Jacques Chamberlan­d ainsi que des commissair­es Guylaine Bachand et Alexandre Matte, attendu au plus tard en mars prochain, avec «tout le sérieux qu’il mérite». Mettrez-vous en vigueur les recommanda­tions qui s’y trouveront? «On verra.»

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Le juge Jacques Chamberlan­d (au centre), président de la commission d’enquête, était épaulé par les commissair­es Alexandre Matte et Guylaine Bachand.
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Lucie Rondeau

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