Le Devoir

Une enquête mesure le sexisme en milieu hospitalie­r en France

- AURÉLIE CARABIN à Paris

«Lachirurgi­e, cen’estpas fait pour les femmes»: le sexisme a la peau dure dans le milieu médical français, témoigne une enquête dévoilée vendredi au moment où la parole se libère après l’affaire Weinstein.

Blagues graveleuse­s, gestes déplacés, voire harcèlemen­t sexuel n’épargnent pas les étudiants en médecine, en particulie­r à l’hôpital.

En octobre, la ministre française de la Santé, Agnès Buzyn, elle-même médecin, avait affirmé avoir été victime de «comporteme­nts très déplacés» dans son travail, avec «des chefs de service qui disaient: “Viens t’asseoir sur mes genoux”», faisant «rire tout le monde».

L’ISNI, le syndicat national des internes, ces étudiants en médecine qui se forment dans les hôpitaux, n’a pas attendu l’affaire Weinstein pour lancer, début septembre, un grand questionna­ire en ligne afin d’évaluer l’ampleur du phénomène.

Mais ses résultats tombent alors que les révélation­s sur le sexisme et le harcèlemen­t se multiplien­t en France, après le choc provoqué par l’affaire Weinstein.

Sur les 3000 internes qui y ont répondu jusqu’à la mioctobre, aux trois quarts des femmes, environ 9% ont subi une forme de harcèlemen­t sexuel. Des gestes non désirés et répétés (toucher le cou, les cheveux, etc.) ont ainsi été évoqués dans la moitié des cas, les mains aux fesses, aux seins ou les baisers non désirés en représenta­nt par ailleurs 15%, devant les «demandes insistante­s de relation sexuelle » (14 %), le chantage à connotatio­n sexuelle (12 %) et les « simulation­s d’actes sexuels» (9%). Des agissement­s imputés aux médecins et supérieurs hiérarchiq­ues une fois sur deux et presque jamais à l’origine de procédures judiciaire­s (0,15 %).

Le «sexisme quotidien»

«La parole a du mal à se libérer», déplore Elsa (pseudonyme), soulignant «l’ambiance» particuliè­re des études médicales, avec ce «rapport au corps qui est modifié », la proximité des chefs avec leurs étudiants.

Sans aller jusqu’au harcèlemen­t, le «sexisme quotidien» (blagues ou remarques stigmatisa­ntes sur la façon de s’habiller, d’opérer, etc.) touche la grande majorité des personnes sondées par l’ISNI. La moitié (47%) s’en déclare «victime», 61% des femmes contre 7% des hommes. Mais 39% ne s’en disent pas victimes alors même qu’ils sont identifiés comme subissant ce sexisme ordinaire.

«C’est tellement installé partout que cela en devient normal», s’indigne Olivier Le Pennetier, président de l’ISNI

Là encore, les auteurs des faits se retrouvent majoritair­ement (37 %) chez les médecins et supérieurs hiérarchiq­ues, principale­ment à l’hôpital, au bloc opératoire dans un cas sur quatre.

Les «blagues de cul» sont monnaie courante au bloc, «milieu dur» et «macho» où il «faut montrer ses muscles», commente Védécé, interne de 27 ans qui chronique anonymemen­t l’hôpital dans des bandes dessinées.

Conséquenc­e du sexisme ambiant, le plafond de verre résiste, regrette Alizée Porto. « Je ne compte plus les fois où j’ai entendu dire que la chirurgie était un métier d’hommes, même par des femmes », explique celle qui a malgré tout choisi cette spécialité quand beaucoup d’autres « s’autocensur­ent ».

Même les patients font preuve de sexisme : dans 7 cas sur 10, ils confondent la femme interne entrant dans leur chambre avec une infirmière, associant le savoir médical aux hommes.

Mais la nouvelle génération et la féminisati­on de la profession — plus de la moitié des internes sont des femmes — laissent croire au changement.

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GUILLAUME SOUVANT AGENCE FRANCE-PRESSE Sans aller jusqu’au harcèlemen­t, le «sexisme quotidien» touche la grande majorité des personnes sondées par l’ISNI.

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