Le Devoir

Michel David sur la légalisati­on du cannabis: la faute d’Ottawa

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Si les parlements s’abstenaien­t de légiférer à moins d’avoir la certitude que leurs lois ne seront pas contestées devant les tribunaux, les députés seraient en chômage la plus grande partie de l’année.

Comme dans le cas de la loi 62 sur la neutralité religieuse, qu’il savait incompatib­le avec les chartes canadienne et québécoise des droits, le gouverneme­nt Couillard est certaineme­nt conscient que l’interdicti­on de cultiver du cannabis à domicile va à l’encontre du projet de loi C-45 et que ce dernier aura en fin de compte préséance.

Peu importe, il lui fallait envoyer aux nombreux électeurs qui appréhende­nt les effets de la légalisati­on de la marijuana le message qu’il tâchera de limiter les dégâts, même s’il n’a pas d’autre choix que de suivre le cortège. Il a également fait en sorte que l’on comprenne qu’il aurait préféré avoir plus de temps, mais que le gouverneme­nt Trudeau, anxieux de réaliser au moins une de ses grandes promesses, a fait passer ses intérêts politiques avant ceux de la population en fixant la date fatidique au 1er juillet 2018. «Je n’ai pas demandé à avoir ça dans mon mandat de gouverneme­nt», a rappelé M. Couillard. Bref, s’il y a des conséquenc­es fâcheuses, ce sera la faute d’Ottawa.

Ce n’est pas la mécanique de la commercial­isation du cannabis qui pose problème. La SAQ ne devrait pas avoir trop de mal à mettre une filiale sur pied dans les délais requis, d’autant plus que le nombre de succursale­s sera passableme­nt limité au départ.

C’est une fois sorti du magasin que les choses se compliquen­t. Le concept de tolérance zéro envers les conducteur­s ne signifie pas grand-chose si la présence de cannabis dans l’organisme ne peut pas être détectée. Le projet de loi 157 interdit également la consommati­on dans les milieux de travail, mais rien n’empêche d’aller fumer son joint à l’extérieur.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendan­te aurait souhaité plus de précisions sur «l’encadremen­t et la gestion de ces nouveaux risques pour les travailleu­rs, les employeurs et la population». Il ne faut se faire aucune illusion: qu’il s’agisse de la consommati­on ou de la culture du cannabis, la loi sera très difficile à appliquer.

Il aurait certaineme­nt été préférable que le projet de loi fasse l’objet d’audiences publiques exhaustive­s plutôt que de «consultati­ons particuliè­res», nettement plus limitées, mais on ne voulait pas courir le risque de manquer de temps pour le faire adopter avant l’ajournemen­t de la mi-juin.

À la veille d’une élection générale, la tentation de placer le gouverneme­nt dans l’embarras peut devenir irrésistib­le pour les partis d’opposition. Les préoccupat­ions de la CAQ, qui désapprouv­ait au départ l’idée de légaliser et de commercial­iser le cannabis, sont sans doute légitimes, mais elles ont surtout le mérite d’être largement partagées par l’électorat qu’elle courtise.

La ministre déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois, était la première à réclamer plus de temps. Dans les circonstan­ces, il faut reconnaîtr­e qu’elle a réussi à trouver un bon équilibre entre les éléments qu’elle pouvait contrôler. Quand le gouverneme­nt libéral et Québec solidaire tombent d’accord, c’est généraleme­nt bon signe.

Les municipali­tés, les établissem­ents d’enseigneme­nt et tous ceux qui devront assurer la gestion quotidienn­e des conséquenc­es de la légalisati­on sont toutefois en droit d’exiger qu’on leur en donne les moyens, comme les provinces le réclament elles-mêmes du gouverneme­nt fédéral.

Une nouvelle source de revenus attise inévitable­ment la convoitise. Le projet de loi 157 prévoit que « la majorité des revenus » provenant de la vente du cannabis serviront à la recherche, la prévention et la «lutte contre les méfaits qui s’y rapportent», mais le gouverneme­nt pourra disposer des «surplus» à sa guise.

D’entrée de jeu, il était écrit que la légalisati­on du cannabis deviendrai­t une nouvelle pomme de discorde entre Ottawa et les provinces. Comment les deux ordres de gouverneme­nt allaient-ils se partager cette manne? Couper le gâteau à parts égales, comme Ottawa l’a proposé initialeme­nt, était inacceptab­le puisque le coût des responsabi­lités du gouverneme­nt fédéral sera presque nul. Une répartitio­n 60-40 en faveur des provinces serait à peine mieux.

Dans un monde idéal, le fédéral devrait évacuer complèteme­nt ce champ de taxation, mais il ne faut pas rêver en couleur. Le fédéralism­e fiscal est devenu une véritable foire d’empoigne où Ottawa a généraleme­nt le dernier mot, comme en témoignent les dernières négociatio­ns sur le Transfert canadien en santé. À cet égard comme à bien d’autres, l’arrivée de Justin Trudeau n’a finalement rien changé.

Le danger est que l’appétit des uns et des autres fasse augmenter le prix du cannabis à un niveau qui ne permettrai­t pas de concurrenc­er le marché noir, qu’on cherche précisémen­t à court-circuiter en fixant l’âge légal de consommati­on à 18 plutôt qu’à 21 ans, comme le proposaien­t les médecins et comme le réclame toujours la CAQ.

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