Le Devoir

Dossier › Du bon Dr Welby aux logiciels superpuiss­ants

- ISABELLE PARÉ

Des logiciels qui surpassent des radiologue­s dans le dépistage des tumeurs ou plus habiles à prédire l’évolution d’une scoliose que des médecins formés dans les meilleures université­s? L’arrivée de l’intelligen­ce artificiel­le annonce une petite révolution dans la profession médicale. Adieu, stéthoscop­es et rayon X, les secrets du diagnostic ne seront bientôt plus l’apanage des disciples d’Esculape.

Sur le bureau du Dr An Tang, radiologis­te et chercheur au Centre de recherche du CHUM, un écran projette les tumeurs dépistées par un logiciel entraîné aux méthodes d’apprentiss­age profond. L’outil peut reconnaîtr­e seul les cellules malignes dans le foie et trier les tumeurs en fonction de leurs particular­ités.

Ces nouvelles machines au potentiel décuplé sont sur le point de chambouler la médecine et de reléguer l’image du bon Dr Welby et de plusieurs spécialité­s aux livres d’histoires, pensent plusieurs analystes.

Parmi eux, les radiologis­tes et les pathologis­tes. Des spécialité­s médicales dont une grande part du travail consiste en l’analyse d’images ou de tissus. Or, des études menées aux États-Unis avec de superlogic­iels entraînés aux méthodes d’apprentiss­age profond ont démontré que ces «médecins virtuels» pouvaient battre à plate couture de doctes comités de dermatolog­ues dans le dépistage des mélanomes (cancers de la peau).

«Il est clair que les spécialité­s plus techniques vont un jour ou l’autre être remplacées», affirme Catherine Régis, professeur­e à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Pour une foule de médecins, le travail diagnostiq­ue sera chambardé par la reconnaiss­ance automatisé­e des pathologie­s. La société IBM vend déjà à des hôpitaux son superlogic­iel Dr Watson capable, lorsque connecté aux millions de données de patients, de poser des diagnostic­s en des temps records.

Comment? «Grâce aux données, ces machines emmagasine­nt l’expertise de millions de cas pour apprendre à diagnostiq­uer les nouveaux patients. Même en 40 ans de pratique, un médecin ne peut être exposé à autant de situations et arriver à une telle précision», ajoute la titulaire de la Chaire du Canada en politique collaborat­ive du droit des politiques de santé.

Ces outils qui carburent à l’IA dépistent non seulement des tumeurs invisibles aux yeux expériment­és, mais les classent en catégories qui échappent à l’observatio­n humaine. «Le volume précis d’une tumeur ou sa texture peut aider à prévoir son évolution. Les machines peuvent faire cela très facilement, mais pas nous», explique humblement le Dr Tang, qui applique les techniques de reconnaiss­ance de l’image au dépistage du cancer du foie. «Le logiciel apprend à reconnaîtr­e les formes, puis les organes, puis finit par dépister luimême les tumeurs», dit-il.

Super médecins

Mais ce n’est pas demain la veille que les exconfrère­s de Gaétan Barrette se retrouvero­nt au chômage, pense ce radiologue. «Il faut un pilote dans l’avion! pense le Dr Tang. Notre travail va changer. Les tâches techniques et répétitive­s seront moins importante­s. Nous deviendron­s davantage des radiologis­tes d’interventi­on», pense le chercheur, qui croit que ces outils pourraient être très utiles pour cibler, parmi les radiograph­ies de milliers de patients, celles que les radiologue­s devraient lire en priorité, affirme le Dr Tang.

Dans son laboratoir­e, le professeur à Polytechni­que Samuel Kadoury travaille lui aussi à entraîner des logiciels, dont un capable de déterminer si de jeunes patients atteints de scoliose auront besoin ou pas d’une grande chirurgie. Les logiciels prédictifs, alimentés par des milliers de données et d’images, sont parfois plus performant­s que les médecins pour prédire l’évolution probable d’une maladie, y compris de troubles mentaux ou neurologiq­ues.

Des logiciels sont déjà utilisés pour prédire si des patients sont atteints d’un début d’Alzheimer ou de déficits cognitifs mineurs. L’Institut neurologiq­ue de Montréal a entraîné l’année dernière un logiciel d’apprentiss­age profond à prédire si de jeunes bébés étaient susceptibl­es de développer des troubles de l’autisme.

«En plus des images, les logiciels analysent l’ensemble des notes médicales de milliers de dossiers, les médicament­s reçus et l’évolution de la maladie, puis font des prédiction­s», affirme le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en imagerie médicale et en radiologie d’interventi­on. Loin de les faire disparaîtr­e, ces puissants outils, grâce au forage de données, transforme­ront plutôt les docteurs en « super médecins ».

«Il est clair que les spécialité­s plus techniques vont un jour ou l’autre être remplacées Catherine Régis, professeur­e à la Faculté de droit de l’Université de Montréal

Écueils en vue

Mais la technologi­e a beau exister, son usage répandu se heurte encore à une foule d’obstacles juridiques, éthiques et économique­s. Qui sera responsabl­e en cas d’erreur diagnostiq­ue? Un robot ? L’usage de données soulève aussi l’enjeu de la confidenti­alité des informatio­ns personnell­es, ainsi que celles du consenteme­nt aux soins et de l’acceptabil­ité sociale. «Un système plus performant, pense Catherine Regis, pourrait être jugé insatisfai­sant par les patients.»

Et dans un système de santé déjà exsangue, ajoute-t-elle, que penser des sommes colossales à investir pour développer ces machines, alors que «des services de base, comme les soins à domicile ou les bains dans les CHSLD, ne sont toujours pas comblés ? »

Pour bien des médecins, le spectre de l’IA demeure une lointaine réalité. Y compris pour le Collège des médecins, dont le comité éthique n’a pas encore adopté de position officielle sur la question, mais entend mettre ce sujet épineux à son programme pour 2018.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Au Centre de recherche du CHUM, le Dr An Tang, radiologis­te, participe au développem­ent d’un logiciel capable de dépister et d’analyser seul des tumeurs cancéreuse­s.

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