Une aide canadienne à la pièce, mais où ?
Plutôt que la traditionnelle mission de maintien de la paix avec un seul bataillon de Casques bleus canadiens dans un pays précis, Justin Trudeau a annoncé que l’armée canadienne aidera les opérations des Nations unies en leur fournissant avions, hélicoptères et formation. Une contribution qui répond aux demandes de l’ONU, en cruel manque de moyens, mais qui reste à ficeler. Quelles missions pourraient faire appel aux effectifs canadiens?
L’Organisation des Nations unies avait préparé, en vue de la conférence internationale de Vancouver sur ses missions de paix, un survol de ses besoins sur le terrain. Car les Nations unies souhaitaient que ses pays membres modifient leur façon d’aider. «Nous avons affirmé la nécessité d’aller au-delà des modèles traditionnels de promesses d’engagement et de déploiement, afin d’envisager des façons de nous assurer que plusieurs pays puissent partager le fardeau de fournir les capacités qui sont le plus demandées», ont souscrit les 67 signataires de la déclaration définitive de la rencontre cette semaine.
Le premier ministre canadien n’a pas dérogé de sa ligne : sa promesse de contribution en était une d’aide à la pièce, pour soutenir les missions de paix onusiennes au besoin. Jusqu’à deux avions de transport et six hélicoptères — quatre Griffons et deux Chinooks — pourront être déployés, au fil des cinq prochaines années. Une équipe d’intervention rapide d’environ 200 soldats canadiens sera aussi mise à la disposition de l’ONU, pour l’aider à gérer une crise ou une situation d’urgence de courte durée. Sans compter une possible aide à l’entraînement de Casques bleus sur des bases africaines ou dans d’autres pays.
Le gouvernement Trudeau veut maintenant étudier les demandes des Nations unies. Impossible donc de savoir combien de soldats pourraient être déployés et dans quelles régions. Tout dépendra des missions, a-t-on fait valoir, en expliquant
que quatre hélicoptères dépêchés pour combattre des incendies de forêt en Colombie-Britannique impliqueraient une centaine de soldats, tandis qu’un avion de transport Hercules envoyé en zone dangereuse, où l’armée doit créer de toutes pièces une base aérienne et en assurer la protection, pourrait nécessiter à lui seul 600 soldats.
Les libéraux martèlent néanmoins que les 600 soldats et 150 policiers qu’ils avaient promis de fournir à l’ONU à l’été 2016 seront bel et bien disponibles. Reste à préciser leur répartition.
Les Nations unies comptent présentement 15 missions de maintien de la paix. La contribution canadienne est à un plancher record. Seuls 25 soldats canadiens participent aux opérations onusiennes — dix au Soudan du Sud, neuf au Congo, cinq au Moyen-Orient et un à Chypre —, soit le quart des soldats canadiens qui faisaient partie des missions de paix lorsque Justin Trudeau a pris les rênes du gouvernement.
Qu’advient-il du Mali?
Depuis deux ans, une intervention canadienne au Mali était l’option le plus souvent évoquée. Des fonctionnaires avaient préparé des scénarios de mission pour le gouvernement. Malgré des rumeurs persistantes, aucune annonce n’est jamais venue.
L’opération MINUSMA, au Mali, est l’une des missions onusiennes les plus dangereuses. Près de 15 000 personnes s’y trouvent — dont 11 200 soldats de contingent et 1700 policiers, selon les données de l’ONU du mois dernier. Depuis 2013, la mission a fait 146 morts. La quasi-totalité d’entre eux seraient cependant des membres d’armées mal entraînées — du Tchad, du Sénégal ou du Burkina Faso —, note Jocelyn Coulon, chercheur au CERIUM et ancien conseiller de l’ex-ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion.
Le Canada pourrait encore prêter main-forte au Mali, concédaient des fonctionnaires cette semaine. Une équipe canadienne de transport aérien sera envoyée en Ouganda, annonçait mercredi Justin Trudeau, où l’ONU a une base régionale de 80 000 militaires et policiers qui dessert ses différentes missions sur le continent africain. Le gouvernement n’a pas précisé laquelle de celles-ci ses appareils soutiendront.
Mais la MINUSMA est l’une des trois missions où l’ONU réclamait un coup de main urgent, dans un rapport faisant état de ses besoins et remis aux pays membres en vue de la conférence de Vancouver.
Les Nations unies disent avoir besoin d’une équipe d’intelligence, de surveillance et de reconnaissance dans la ville de Kidal, au nord-est du Mali. Elles réclament aussi les renforts d’un hélicoptère armé et de son équipage, ainsi qu’une unité policière pouvant intervenir en terrain riverain.
« Les lacunes les plus criantes sont à la MINUSMA», concluait le rapport.
Centrafrique et Soudan du Sud
Les Nations unies y faisaient toutefois aussi état d’un manque d’effectifs dans deux autres régions des plus instables.
L’opération UNMISS, entreprise au Soudan du Sud après la création du pays en 2011, compte 17 000 personnes — dont 12 400 soldats de contingent et 1600 policiers. Elle a fait 51 morts.
L’ONU y a besoin d’une équipe de forces spéciales pouvant être déployées sur le terrain rapidement, de même que d’une unité de soldats de reconnaissance armés. La mission requiert aussi une unité de transport et 30 agents pénitenciers. Les Nations unies possèdent une seconde opération d’environ 4800 personnes dans la région d’Abyei, prise entre le Soudan et le Soudan du Sud.
En République centrafricaine, où sont basés 13 700 soldats onusiens — dont 10 000 soldats de contingent et 2000 policiers —, l’organisation internationale aurait besoin de 20 agents pénitenciers, selon son rapport distribué aux pays membres en mai dernier.
Les représentants des Nations unies auraient discuté avec Ottawa, selon La Presse canadienne, de l’envoi d’hélicoptères au Mali et d’une équipe d’intervention rapide sur le plateau du Golan, où des Casques bleus patrouillent à la frontière entre Israël et la Syrie depuis 1974 pour y faire respecter un cessez-le-feu. Un peu plus de 1100 personnes y sont stationnées présentement — dont 950 soldats de contingent. La mission a fait 48 morts.
Les Nations unies comptent présentement 15 missions de maintien de la paix
Moins risqué en Haïti
Les Casques bleus militaires ont quitté Haïti cet automne, mais l’ONU y compte encore un contingent de 1200 policiers. Sa mission ne s’est pas classée parmi les plus à court de renforts, dans son rapport. Le gouvernement canadien songerait néanmoins à y contribuer.
Le terrain d’opération «est loin d’être aussi dangereux» que dans les missions africaines, note l’analyste en défense David Perry, de l’Institut canadien des affaires mondiales. «Haïti n’est pas le théâtre d’un groupe organisé djihadiste à grande échelle, qui mène une campagne d’insurrection et des activités terroristes, comme au Mali. »
L’ONU compte neuf autres missions à travers le monde.
Le gouvernement canadien a concédé cette semaine qu’il pourrait s’écouler de six à neuf mois avant qu’une de ses opérations ne débute officiellement, le temps de décider où et comment aider l’ONU. « Il a été laborieux d’en arriver là», commentait une source onusienne à la CBC cette semaine, après l’annonce du premier ministre Trudeau. «Et bien évidemment, nous avons hâte d’avoir une contribution significative du Canada dès que possible.»