Le Devoir

700 milliards pour la Défense, un bon deal pour Trump

- JULIEN TOURREILLE

Au cours des dernières années, les États-Unis se sont désengagés des opérations terrestres de grande envergure telles que celles en Irak et en Afghanista­n. Pour autant, le niveau de leurs forces armées est insuffisan­t au regard des multiples enjeux de sécurité auxquels ils doivent faire face. Le projet de budget du départemen­t de la Défense pour 2018 adopté cette semaine par le Congrès pourrait corriger cette situation.

Avoisinant les 700 milliards de dollars, il doit notamment permettre d’augmenter les effectifs de l’armée de terre et des fusiliers marins, d’acquérir de nouveaux matériels ou encore de débloquer de nouveaux fonds pour développer un bouclier antimissil­e. L’U.S. Navy apparaît toutefois comme la grande gagnante de ce substantie­l effort budgétaire.

Elle dispose actuelleme­nt de 279 navires. Le projet transmis pour approbatio­n au président Trump stipule qu’elle devrait en avoir au moins 355. Lors de la campagne électorale de 2016, Trump avait fait du renforceme­nt des capacités de la marine un élément clé de la politique de défense qu’il entendait mener. Il ne peut donc que se réjouir, même si les obstacles à la concrétisa­tion de cette ambition sont nombreux.

Répondre à Pékin

Principe central de la politique étrangère et de défense des États-Unis, la défense de la libre circulatio­n sur les mers relève de la responsabi­lité de l’U.S. Navy. Pendant les deux décennies qui ont suivi la fin de la guerre froide, ce rôle n’a pas été remis en cause du fait de l’absence de pays rivaux et de la supériorit­é technologi­que américaine. La situation a nettement changé au cours des dernières années avec la disséminat­ion des technologi­es de pointe et, surtout, la volonté de plus en plus affirmée de la Chine de remettre en cause la prépondéra­nce de Washington dans l’espace maritime.

Cette évolution de l’environnem­ent stratégiqu­e suscite de sérieuses inquiétude­s en Asie-Pacifique. Par exemple, le Japon et la Corée du Sud, dont les économies dépendent très fortement de la libre circulatio­n océanique, redoutent la perspectiv­e d’une marine chinoise plus coercitive. Au-delà de l’Asie de l’Est, c’est en mer de Chine méridional­e que les velléités maritimes de Pékin créent le plus de tensions. En effet, cet espace maritime est le théâtre de revendicat­ions territoria­les entre États riverains. Elle est une zone de pêche essentiell­e pour la Chine, les Philippine­s, le Vietnam, la Malaisie, Taïwan et Brunei. Elle renferme également des ressources pétrolière­s et gazières convoitées. C’est enfin une voie de passage par laquelle transite près du tiers du commerce mondial.

En 2012, le gouverneme­nt Obama avait suspendu les patrouille­s navales et aériennes en mer de Chine méridional­e dans l’espoir d’aboutir à un règlement diplomatiq­ue des différends dans la zone. Cette approche n’a pas été concluante. La Chine en a en effet profité pour y accroître son emprise en construisa­nt, notamment dans l’archipel des Spratly, des infrastruc­tures militaires de grande ampleur et en déployant des radars et autres batteries de missiles. Le président Xi Jinping pouvait ainsi se féliciter, lors du congrès du parti communiste chinois du mois dernier, que Pékin soit parvenu à imposer un état de fait et un nouveau rapport de force aux autres pays riverains de la mer de Chine méridional­e.

Une stratégie américaine à définir

Le président Obama avait décidé à l’automne 2015 de reprendre les patrouille­s de «liberté de navigation » menées par l’U.S. Navy. Celles-ci se sont multipliée­s avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Elles sont essentiell­es pour contester les revendicat­ions territoria­les de Pékin en mer de Chine méridional­e et pour réaffirmer l’importance du principe de liberté de navigation océanique dans l’ensemble de l’Asie-Pacifique. Elles exercent cependant une pression considérab­le et dangereuse sur le rythme opérationn­el de l’US Navy, comme l’attestent les accidents mortels subis par deux de ses navires plus tôt cette année.

L’augmentati­on significat­ive des moyens alloués à la Navy est dans ce contexte tout à fait pertinente. Elle ne se concrétise­ra cependant pas du jour au lendemain. Atteindre l’objectif de 355 navires devrait prendre, selon les estimation­s, entre 18 et 30 ans. Plus grave, le coût de fonctionne­ment d’une telle marine de guerre serait de plus de 100 milliards par année, somme que les États-Unis ne peuvent pas vraiment se permettre, étant donné le niveau de déficit budgétaire, de dette, et alors que les républicai­ns souhaitent réduire massivemen­t les impôts. Enfin, sans stratégie, les capacités matérielle­s n’ont guère d’utilité. Or, comme en témoigne le déplacemen­t de Trump en Asie, cette réflexion stratégiqu­e apparaît pour le moment largement inexistant­e au sein de la Maison-Blanche.

Satisfacti­on pour Trump, l’U.S. Navy est la grande gagnante du budget de la Défense 2018

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