Le Devoir

Renouveler le western avec une révérence

Avec Godless, Netflix démonte certains archétypes du genre

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Après avoir triomphé en science-fiction avec le nostalgiqu­e Stranger Things, la plateforme Netf lix s’attaque au plus américain des genres : le western. Écrite et réalisée par Scott Frank, produite par Steven Soderbergh, Godless se déroule dans un Ouest impitoyabl­e, à la fois familier et singulier.

Le western occupe une place à part dans l’imaginaire américain. Le «mythe du Far West», une invention devenue réalité dans l’imaginaire collectif, est à l’origine d’une production littéraire et cinématogr­aphique particuliè­rement abondante. Toutefois, c’est beaucoup grâce à la télévision, longtemps média démocratiq­ue par excellence, que la popularité continue du western a été assurée. Plusieurs séries phares ont nourri ledit mythe tout en y puisant leurs archétypes, fantasme historique et fiction se côtoyant comme dans aucun autre genre. Godless, la plus récente série en date, diffusée non plus sur le, mais

les petits écrans, se révèle à cet égard semblable et différente des autres.

Semblable en cela qu’on y retrouve des personnage­s et des situations aux contours archétypau­x, mais différente en cela que le créateur de la série, Scott Frank, est conscient de cette familiarit­é qu’il utilise pour mieux déjouer les attentes. Godless propose un récit choral dont la simplicité apparente permet à Frank de développer une foule d’enjeux et de thèmes qui résonnent au-delà du lieu

Mary Agnes, une présence éminemment positive, est le seul personnage associé à une forme de pouvoir politique

et de l’époque dépeints. Au gré des six épisodes d’une heure, le scénariste et réalisateu­r déploie un univers certes connu, mais qu’il explore en épousant des perspectiv­es plus actuelles, voire inédites.

L’intrigue est campée en 1888 dans la ville minière de La Belle, un bled imaginaire du Nouveau-Mexique, où tous les hommes ou presque ont péri dans un éboulement. Restées seules avec un shérif myope, les femmes ont appris à ne compter que sur elles-mêmes.

Quatre destins liés

Cette toile de fond exemplifie bien l’approche privilégié­e par Scott Frank. Avec la ville minière et ses quelques bâtiments usuels (saloon, hôtel, prison, église), il recourt à un contexte connu, éprouvé, du western. En peuplant l’endroit uniquement de femmes et en y plaçant la figure d’autorité mâle — le shérif — en position de faiblesse, Frank tourne toutefois le dos à la tradition. Une bonne partie du charme de

Godless découle de ce mélange de révérence et de renouveau. La série s’articule autour des destins liés de quatre protagonis­tes: le hors-la-loi sanguinair­e John Griffin, son fils de substituti­on Roy Goode, qui l’a trahi, Alice Fletcher, la «rancheuse» imperturba­ble qui a recueilli Goode auprès d’elle, de sa belle-mère païute et de son fils métis, et enfin, Bill McNue, le shérif qui a perdu le respect des habitantes de La Belle.

Ces personnage­s bénéficien­t du même traitement que le théâtre de l’action, c’est-à-dire que sous le cliché couve la complexité. John Griffin, l’antagonist­e que Jeff Daniels défend avec une retenue terrifiant­e, est celui qui parle le plus de Dieu dans une série intitulée Godless, ou « sans dieu». Roy Goode (excellent Jack O’Connel), devenu bandit malgré lui, se fait un point d’honneur de faire le bien. Il vit pourtant une perpétuell­e quête de rédemption.

Alice Fletcher est pour sa part une veuve courageuse, figure récurrente du genre s’il en est, dont le stoïcisme de façade est la résultante d’une existence entière vécue sous le signe de la résilience. La vedette de Dowton

Abbey Michelle Dockery est parfaite de lasse déterminat­ion. Enfin, le shérif McNue (Scoot McNairy), en une déconstruc­tion intéressan­te du héros sans peur et sans reproche, n’est pour une bonne partie de l’histoire que doute et insécurité.

Le pouvoir aux femmes

Un autre aspect intéressan­t est que Scott Frank, prémisse aidant, développe une pléthore de personnage­s féminins forts outre Alice, à commencer par celui de Mary Agnes (formidable Merritt Wever), la veuve du maire de La Belle qui, depuis la tragédie, a repris le poste du défunt et gouverne de manière inclusive, communauta­riste.

Mary Agnes, une présence éminemment positive, est le seul personnage associé à une forme de pouvoir politique. Ce n’est certaineme­nt pas innocent de la part de Scott Frank qui, on l’a signalé, a non seulement écrit, mais également réalisé Godless.

En gestation pendant 15 ans, le scénario fut d’abord celui d’un long métrage-fleuve ou d’une minisérie d’environ trois heures. Ami du réalisateu­r Steven Soderbergh depuis leur collaborat­ion sur Loin des regards (Out of

Sight), c’est à ce dernier qu’il destinait Godless. Craignant de se frotter au western, Soderbergh préféra soutenir le projet en le coproduisa­nt.

Après maints refus, Netflix manifesta son intérêt, mais pour une production de six heures. Dès lors, Frank eut tout loisir d’approfondi­r personnage­s et situations.

Une série qui se distingue

Faut-il le préciser, Godless continue de brouiller la ligne de plus en plus mince entre télévision et cinéma. Loin de l’esthétisme magnifique­ment outré de Sergio Leone, Frank préfère le réalisme empreint de lyrisme d’un Clint Eastwood, lui-même influencé par John Ford.

L’actualisat­ion passe essentiell­ement par un rythme très soutenu, fruit d’un montage qui alterne sans s’attarder lieux et points de vue, et une descriptio­n crue, quoique jamais complaisan­te, de la violence. Le tout culmine par l’inévitable affronteme­nt final, passage obligé rendu électrisan­t du fait que la horde sauvage de Griffin affronte les habitantes de La Belle.

À terme, Godless ne prétend pas réinventer le western. La série se distingue plutôt en détournant l’un des principaux travers du genre, à savoir son inhérente misogynie.

Le mythe du Far West demeurant en perpétuell­e constructi­on, et donc perméable au changement, c’est là une excellente nouvelle.

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PHOTOS NETFLIX L’intrigue est campée en 1888 dans un bled imaginaire où les femmes ont appris à ne compter que sur elles-mêmes.
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Alice Fletcher, la « rancheuse » imperturba­ble, a recueilli Roy Goode, fils d’un hors-la-loi, auprès d’elle.

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