Le Devoir

Paul Ahmarani en quête de transcenda­nce avec Les enivrés

Le comédien s’attaque à une deuxième pièce du Russe Ivan Viripaev, Les enivrés

- MARIE LABRECQUE

Q

J’ai eu un passé un peu rock’n’roll. La drogue relève aussi d’une volonté d’être dans l’extase, de ne plus être limité à notre réalité. Mais atteindre la transcenda­nce par la création, la méditation, l’amour, le don de soi ou les enfants, c’est beaucoup plus constructi­f. Même si ce n’est pas aussi facile… PAUL AHMARANI

uoi de plus naturel que de rencontrer Paul Ahmarani au théâtre Prospero? Le comédien y a multiplié les engagement­s dans la dernière décennie, grâce notamment à sa collaborat­ion avec le metteur en scène Gregory Hlady. «Le Prospero a été une maison pour moi, une ancre, au cours de ces années, dit l’acteur. Je trouve que c’est un lieu qui va bien avec mes intérêts, où les pièces flirtent toujours un peu avec l’étrange, nous amènent ailleurs.» Pour résumer, l’intense et expressif interprète y retrouve des «approches qui transcende­nt le réalisme ».

Sans du tout dénigrer les directions passées, il loue l’évolution qu’a connue le théâtre de la rue Ontario durant cette période. « Carmen [Jolin, la directrice] est en train d’en faire un vivier de jeunes metteurs en scène, un endroit où on peut découvrir non seulement des textes, mais de jeunes talents. »

C’est en tout cas là que les Montréalai­s ont eu la révélation du dramaturge russe quadragéna­ire Ivan Viripaev, monté pour la troisième fois depuis Oxygène en 2013. «C’est une écriture originale. Il n’y a rien qui ressemble à un Viripaev. Et il y a quelque chose de profondéme­nt philosophi­que dans son écriture.» Avec

Les enivrés, une oeuvre bien différente, Paul Ahmarani retrouve le metteur en scène Florent Siaud, qui l’avait dirigé dans Illusions il y a deux ans. Perte de sens

In vino veritas : les 14 personnage­s de cette série de tableaux qui s’entrecrois­ent durant une nuit sont dans un état d’altération tel qu’ils sont traversés par des révélation­s fondamenta­les. À travers cette extase alcoolisée, la pièce créée il y a à peine quelques années à Moscou traite de spirituali­té.

«C’est un questionne­ment sur la transcenda­nce, sur notre accession au sens, à plus grand que nous, dans une société ultra-individual­iste. » L’acteur qui, coïncidenc­e, a beaucoup joué les auteurs russes, de Boulgakov à Dostoïevsk­i, et qui sera aussi de

L’idiot au TNM en mars prochain, rappelle que l’ancien pays des tsars et du communisme est passé d’idéologies totalitari­stes où l’individu n’avait pas d’importance en soi au «capitalism­e sauvage». D’où l’interrogat­ion de Viripaev devant la perte de sens. «Où sont nos racines? Que suis-je face à l’univers? Est-ce que l’individu est assez? N’est-ce pas plutôt le fait de s’inscrire dans une continuité, de se sentir un maillon parmi d’autres, dans une immense chaîne qui n’a ni début ni fin, qui aide paradoxale­ment à trouver la liberté?»

Ahmarani campe deux de ces enivrés. Ainsi, un banquier reçoit l’illuminati­on qu’on est «tous des particules dans une espèce de grand bain cosmique», avant d’être chamboulé par une inconnue. «Il a la révélation que, sans l’amour, ne serait-ce qu’à travers une rencontre de cinq minutes, sans cette chose plus forte que nous et, d’une certaine façon, inexplicab­le, on ne vit pas véritablem­ent. C’est par la connexion, avec le spirituel ou avec une autre personne, qu’on trouve véritablem­ent le sens de la vie. »

Le comédien voit des considérat­ions presque scientifiq­ues, à la Hubert Reeves, dans cette soudaine conscience d’être «des poussières d’étoiles». «L’histoire de l’être humain est négligeabl­e au sein de l’univers. On est une organisati­on parmi d’autres dans ce grand mystère. »

Afin d’éviter le « prêchi-prêcha », Viripaev véhicule ces pensées par l’humour, à travers les discours parfois délirants d’êtres complèteme­nt éméchés. Et c’est de faire vivre à la fois la profondeur philosophi­que et le caractère comique, burlesque du texte qui constitue « tout un défi ». Il ne faut pas s’attendre pour autant à voir les personnage­s tituber à la manière d’ivrognes. « On n’ira pas imposer au public huit acteurs qui font les saouls durant une heure et demie. La façon de jouer l’ivresse va être beaucoup plus stylisée. »

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