Entrevue avec Louis Morissette
Avec sa boîte KOTV, l’acteur et auteur est devenu un producteur influent du petit écran québécois
LesQuébécois connaissent bien Louis Morissette l’humoriste, l’acteur, l’auteur, et aussi l’époux de Véronique Cloutier. Mais le chapeau qu’il porte davantage dans l’ombre — et peut-être le plus important —, c’est celui de producteur. Ce métier «de chef d’orchestre» de la télévision lui permet de satisfaire sa fibre d’entrepreneur et son côté workaholic, tout en pouvant contrôler ce que ses idées deviendront au petit écran.
Le Drummondvillois de naissance, fils d’homme d’affaires, a cofondé il y a sept ans la maison de production KOTV, qu’il préside. La boîte, créée à l’origine uniquement pour le Bye Bye
2010, a pris quelques mois à s’installer, avant de progresser rapidement par la suite. Aujourd’hui, Morissette produit des émissions en tout genre pour pratiquement tous les diffuseurs québécois — il s’apprête même à concrétiser un projet avec TVA, avec qui il est en froid depuis longtemps.
Dans son écurie, l’ancien du groupe Les Mecs comiques et auteur du film Le mirage compte entre autres Les Simone (Radio-Canada), Esprit critique (Artv), Les Appendices et
Conseil de famille (Télé-Québec), Les détestables (V) et le plus récent Plan B (Séries+). Sa présence à Radio-Canada s’est aussi beaucoup accrue sur Tou.tv depuis deux ans, avec la création du volet Véro.tv, dont une grande partie des productions sont le fruit de KOTV, dont Trop et Rétroviseur.
Ne pas trahir les idées
En rencontre avec Le Devoir, Louis Morissette compare son métier de producteur télé à celui d’un «chef d’orchestre dans l’ombre». «Il faut trouver la bonne idée, la développer et choisir les bonnes personnes pour l’exécuter, résume le triple père de famille de 44 ans. Et c’est d’essayer de comprendre ce que le diffuseur cherche, comprendre tes clients, c’est beaucoup ça. Et parler leurs discours aussi, ne pas essayer de leur rentrer de quoi qu’ils ne veulent pas à travers la gorge.»
Poursuivant l’analogie musicale, Morissette estime que les meilleurs producteurs «sont ceux qui connaissement le plus de partitions». «Là-dessus, je suis assez blindé. J’ai joué, beaucoup écrit, je n’ai jamais réalisé, mais c’est quelque chose que je pense que je pourrais faire un jour. Et avec tout ce qui vient avec les Bye Bye, la direction artistique, les costumes, le maquillage, tu viens à connaître tous les départements sur le bout de tes doigts. Je me sens, comme producteur, en pleine possession de mes moyens.» À la racine de la création de KOTV, il y a chez Louis Morissette le désir de mieux contrôler le rendu à la télévision de ce qu’il écrivait. «Il y avait parfois un décalage» entre l’idée et le résultat dans les projets menés, explique-t-il.
«J’entendais souvent le même discours: “on n’a pas d’argent”, on n’a pas les moyens». Ce qui était assez vrai. Mais alors, je voulais au moins avoir toutes les cartes dans mon jeu et décider à quel moment j’allais les sortir.»
Celui qui vient de finir le tournage du prochain film de Denys Arcand donne l’exemple de la série Plan B, qu’il a eue dans ses cartons pendant sept ans avant qu’elle se retrouve à la télé cette année. Pour cette émission dans laquelle il tenait aussi le rôle principal, il a réinvesti la totalité de ses honoraires de producteur dans le budget de création, afin que le résultat soit à la hauteur de sa vision. «Il fallait y aller all in. Sinon, j’aurais été trop déçu. À la fin, on ne pouvait pas avoir des scènes dans le Sud ni des scènes d’hiver, qui permettaient de marquer le temps dans l’histoire. J’ai payé de ma poche. »
C’était un risque qu’il pouvait prendre — et qu’il avait les moyens financiers de prendre. Il avoue aussi que lors de certains jours de tournage des
Bye Bye, il ne signait pas sa feuille de temps. «Mon “union” ne sera pas contente d’entendre ça, mais je veux que ça se fasse, alors je prends les moyens qu’il faut. Quand je parlais d’avoir le plus de cartes dans son jeu, ben, c’est ça.»
Défis
Les affaires vont bien pour KOTV, mais les producteurs font aussi face à des défis. Il y a moins de joueurs qu’avant, et surtout moins de sous. «Les diffuseurs ont moins d’argent, la publicité est moins au rendez-vous, l’auditoire est fragmenté», résume Morissette.
Depuis quelques années, l’industrie télévisuelle a donc connu « un ajustement», explique-t-il. «C’est comme le sport, mais à l’inverse. Dans le show-business, c’est il y a trente ans qu’on signait des contrats de huit ans pour 80 millions! Ce n’est plus ça aujourd’hui. Sans dire qu’aujourd’hui, on est exploités comme Maurice Richard l’a été, c’est pas ce que je dis. »
Une autre angoisse de Morissette est de voir les grandes compagnies transférer le pouvoir décisionnel à Toronto. Il évoque Corus, qui a récemment stoppé sa production de séries au Québec et vendu des chaînes à Bell. «Quand il y a un nouveau boss à Toronto, le premier réflexe, c’est de regarder le payroll du Québec et de dire “ben voyons donc, vous êtes malades? C’est trois fois le prix que ça coûte ailleurs”. Oui, mais c’est qu’on est un système particulier. Heureusement, il reste encore des gens au Québec qui défendent ça, mais dès qu’ils sautent, tout s’en va à Toronto, et on va mourir. La culture populaire va mourir, on va se brancher sur les États-Unis.»