Entrevue avec Deon Meyer
L’écrivain sud-africain invite à réfléchir sur la véritable nature humaine
Imaginez le pire des scénarios catastrophes: 95% de la population de la planète a été éliminée par un virus foudroyant. Partout: rien, personne, ou presque. Nous sommes «après la Fièvre», mais surtout dans L’année
du lion de Deon Meyer, écrivain sudafricain joint par Le Devoir à Paris, il y a quelques jours, pour qu’il nous parle de son nouveau monde…
«Le futur de l’humanité est une énorme question qui me préoccupe beaucoup», explique Meyer, dont le livre est sorti cette semaine au Québec. «Je pense que les humains forment une espèce qui survivrait probablement à une catastrophe globale… parce qu’ils ont déjà démontré qu’ils pouvaient survivre au pire. Mais j’ai voulu voir comment ils s’y prendraient s’il fallait repartir à zéro. Est-ce qu’il est possible de régler les problèmes d’inégalités sociales qui nous ont menés où nous en sommes? De cesser de détruire l’environnement en menaçant la survie même de la vie sur la planète?»
Rien laisser au hasard
L’écrivain précise qu’il n’a pas voulu partir d’une catastrophe nucléaire comme dans La route de Cormack McCarthy: «Je souhaitais que les survivants se retrouvent dans un monde viable pour leur donner toutes les chances. » Pas de changements climatiques, de pollution, d’inégalités, de problème des réfugiés ou de dérives politiques et commerciales non plus. Il n’y a plus rien de tout cela puisque plus rien ne fonctionne. Le monde est vide. Le compteur est à zéro.
Quelque part en Afrique du Sud, un homme et un garçon de 13 ans, Willem Storm et son fils Nico, roulent dans un gros camion remorque en faisant provisions de denrées, de livres et d’armes diverses dans toutes les villes vides qu’ils traversent. Dans ce nouveau monde dominé par les prédateurs, il ne faut rien laisser au hasard et penser à tout. D’autant plus que Willem Storm veut regrouper les survivants de ce coin du monde et fonder une communauté autour des notions d’égalité et de liberté, comme il l’explique d’ailleurs dans la brochure qu’il laisse partout sur leur passage. Peu à peu, au fil des années, la petite communauté d’Amanzi va se construire autour d’eux, le père humaniste et visionnaire et le fils qui raconte l’histoire beaucoup plus tard.
Deon Meyer, que l’on connaît surtout pour ses intrigues policières, pour ses personnages typés et pour le souffle et le rythme irrésistible de son écriture, raconte qu’il a vécu avec
L’année du lion pendant cinq ans avant de se mettre à l’écrire en quinze mois. Entre deux aventures de son inspecteur Benny Griessel, il a trouvé important de convier ses lecteurs à réfléchir sur la situation du monde trouble dans lequel nous vivons. Et il a changé de registre. Complètement.
«Mes intrigues policières se déroulent habituellement dans un laps de temps assez court, poursuit-il. Ici, le récit se développe sur une période de cinq ans: jamais je n’avais vu aussi large, mais l’ampleur du sujet imposait une telle perspective… Tout le livre est dans cette préoccupation: est-il possible de construire une communauté sans inégalités, sans fanatisme religieux et respectueuse de l’environnement?» À l’autre bout du fil, la voix du romancier se fait plus ample sur fond de consonnes cassantes et de roulement de «r». Il précise ne pas vouloir transmettre de «message». Il dit que la réalité est trop complexe pour imposer des solutions simplistes à tout, mais qu’il devient urgent que l’humanité trouve sa voie (« come together »).
«Je pense qu’il est important que chacun de nous s’interroge sur les effets directs des changements climatiques et sur le sort que nous faisons subir à la planète. Il n’y a évidemment pas de réponse simple — même dans un monde nouveau! — mais l’urgence de la situation est très préoccupante. Il faut que nous réfléchissions ensemble sur la véritable nature de l’humanité, sur les inégalités et sur notre façon d’interagir les uns avec les autres. La catastrophe planétaire menace à tout moment: arrêtons-nous un instant et réfléchissons sérieusement à ce que nous sommes en train de faire. »
Le romancier constate lui aussi que les solutions proposées aujourd’hui ne fonctionnent pas et qu’il faudra bien trouver des réponses avant que certains n’imposent les leurs… comme dans son intrigue particulièrement tordue. Dans son histoire, l’après-Fièvre semble d’ailleurs remplie d’espoir. Il y a bien des heurts et des affrontements avec des bandes de pillards, mais la petite communauté prospère peu à peu grâce à la vision de son créateur, au travail de ses membres et à la vigilance de ses défenseurs. Jusqu’au choc des 50 dernières pages, qui confirme que Deon Meyer n’est pas du genre à se gaver d’illusions.
«Je vis dans un pays qui a connu un nouveau départ avec la fin du régime de l’apartheid et l’arrivée de Nelson Mandela. Mais cela n’a pas suffi puisque l’Afrique du Sud est toujours déchirée par les inégalités et la corruption.
«La très large majorité des Sud-Africains souhaiteraient un autre nouveau départ; l’espoir est toujours présent, mais il est de moins en moins intense. Amanzi, c’est ce nouveau départ, une communauté dans laquelle tout le monde contribue puisque la seule façon de survivre est de se serrer les coudes.
«C’est vrai pour Amanzi. C’est vrai pour l’Afrique du Sud. Et c’est vrai pour tous les pays du monde puisque les changements climatiques vont créer de plus en plus de vagues de réfugiés sur la planète. Le temps est venu de réévaluer ensemble ce qui se passe!»
Je pense que les humains forment une espèce qui survivrait probablement à une catastrophe globale… parce qu’ils ont déjà démontré qu’ils pouvaient survivre au pire DEON MEYER