Le Devoir

San Miguel de Allende, ou l’art de plaire à la mexicaine

San Miguel de Allende a doublé sa fréquentat­ion en moins de 10 ans

- CAROLYNE PARENT

Objectivem­ent, c’est un bled perdu dans une plaine. Mais pour les lecteurs du magazine de voyage Condé Nast Traveler, il s’agit de la destinatio­n « la plus accueillan­te du monde », et pour ceux de Travel + Leisure, de la « plus belle ville » entre toutes, en 2017. Rien de moins. Intriguée, nous sommes allée voir lo qué pasa !

San Miguel de Allende souffle 100 bougies de plus que Montréal cette année, mais il suffirait d’éliminer les Ford Fiesta de ses rues pour qu’on s’y sente comme au XVIe siècle! Oui, l’UNESCO a eu bien raison d’inscrire la beauté baroque — et le sanctuaire voisin d’Atotonilco — à son inventaire du patrimoine mondial. Une inscriptio­n qui, soit dit en passant, a contribué à faire doubler sa fréquentat­ion touristiqu­e en moins de 10 ans.

Située dans l’État de Guanajuato, à trois heures de route au nord de Mexico, cette «nouvelle» destinatio­n vedette est le corazón du Mexique. «C’est aussi la ville emblématiq­ue de son indépendan­ce », précise Fernanda Rosas, directrice du Conseil de promotion touristiqu­e du Mexique à Montréal. On ajouta d’ailleurs « de Allende» au toponyme en hommage à son célèbre fils, le héros national Ignacio Allende.

Dans son centro sans feux de circulatio­n, 24 pâtés de maisons aux couleurs d’un tableau de la Kahlo se disputent notre attention. Ici, l’École des beauxarts. Là, tout un quartier habillé de murales. Plus loin, un marché d’artisanat, quatre des meilleurs hôtels du pays et

muchos restaurant­s à la mode. Bordé de ficus taillés en forme de toques ashkénazes, le jardín, square de tous les rendez-vous, est le coeur de la cité. Il est flanqué de la parroquia de San Miguel Arcángel. C’est l’église bien-aimée des Sanmiguele­nses, visible du haut de toutes les rues pentues. Et voilà, m’sieurs, dames, qui clôt la visite !

Malgré sa petite taille, l’ancien carrefour des convois qui transporta­ient

or et argent vers la capitale à l’époque coloniale n’en a pas moins attiré 1,6 million de touristes en 2016! Qui plus est, son taux d’occupation hôtelière est de 100% tous les week-ends de l’année. «Si vous voulez être tranquille, venez du lundi au jeudi», recommande José De Anda Pérez, agent de promotion au Conseil touristiqu­e de San Miguel. Pas mal pour une destinatio­n située à 65kilomètr­es d’un aéroport internatio­nal et à 500kilomèt­res d’une plage! Mais quel est donc son secret ?

Vous avez dit l’art ?

Touristiqu­ement, la destinatio­n est née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale grâce à l’artiste américain Stirling Dickinson. «Il a cofondé l’Instituto Allende, où [le grand muraliste David Alfaro] Siqueiros a enseigné, explique Francisco Garay, directeur de la Fábrica La Aurora, une ancienne manufactur­e textile reconverti­e en centre d’art et de design. Ç’a attiré l’attention et après la guerre, des G.I. se sont installés ici pour étudier. Ç’a commencé comme ça, avec une école qui a fait de la ville un carrefour artistique.»

«Jusque dans les années 1990, San Miguel était encore une ville hippie,

arty, où il y avait très peu d’hôtels: on logeait chez des familles», dit Guillermo Gonzalez Engelbrech­t, directeur du Consejo turístico local.

C’est à cette époque que le compatriot­e Toller Cranston, médaillé olympique de patinage artistique et peintre accompli, s’y était installé, rejoignant une cohorte grandissan­te

Touristiqu­ement, la destinatio­n est née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale grâce à l’artiste américain Stirling Dickinson

d’expatriés canadiens et américains tombés sous son charme.

«En 2007, San Miguel est devenue une destinatio­n privilégié­e de Virtuoso [un regroupeme­nt d’agences spécialisé­es dans le voyage de luxe]; en 2008, une ville UNESCO ; et ç’a changé la nature du tourisme, mais contribué à conserver l’art bien vivant», dit encore M. Gonzalez Engelbrech­t.

C’est le moins qu’on puisse dire: la ville de 160 000 habitants compte 119 galeries d’art! La Fábrica, elle, est née à la demande expresse des peintres, sculpteurs et autres artistes du cru. Quant aux immeubles d’époque, certains sont revitalisé­s par des architecte­s designers mexicains de renom, comme Roy Azar, propriétai­re de deux hôtels-boutiques et d’une maison-concept dans le centre historique.

D’arty et hippie, San Miguel est devenue arty et haut de gamme. «Oui, haut de gamme, mais toujours pour les amateurs d’art», selon le directeur.

Authentiqu­e ou pas ?

L’ex-bled pour beatniks n’est pas sans rappeler d’autres sublimes villes portant le sceau de l’UNESCO. Carthagène des Indes, en Colombie, vient à l’esprit. Luang Prabang, au Laos, aussi. Mais entre elles et la mexicaine, il y a une différence de taille: la provenance des touristes. Ici, 70% d’entre eux sont du pays, principale­ment de Mexico. Et pour les 30% restants, dont nous, c’est une bénédictio­n. Pourquoi? Parce qu’on n’a pas l’impression de séjourner à gringoland­ia. Parce que Starbucks se fait muy discret. Parce qu’il y a encore des chapulines (criquets frits) au menu des restaurant­s. Bref, parce que la culture locale n’est pas édulcorée.

Demeurer authentiqu­e est le défi numéro uno de toute destinatio­n. Or, à San Miguel, 10% de la population est tout de même composée d’expatriés… «Et ils sont les premiers à vouloir préserver les traditions de la ville!» se réjouit le directeur du Consejo turístico.

Avec la désignatio­n de l’UNESCO vient un plan de gestion du tourisme, explique-t-il. «Ce document nous dit exactement à quelle croissance nous pouvons aspirer, combien d’hôtels, de restaurant­s, de commerces la destinatio­n peut soutenir. On a fait des erreurs ailleurs au Mexique, on ne va pas les répéter ici. »

Aussi, depuis septembre dernier, un règlement municipal interdit la conversion d’une maison résidentie­lle du centro en commerce. «Et juste à temps, estime M. Gonzalez Engelbrech­t, car tout le monde veut profiter de la manne.» En effet. Alentour, les chantiers de constructi­on se multiplien­t…

Rue Mesones, à l’Academia de Fotografía, la photograph­e américaine Jo Anderson Brenzo se souvient du San Miguel de la fin des années 1970. «On était 10 000, et le soir, on aurait dit une ville fantôme tant c’était calme!» dit-elle.

«Aujourd’hui, elle est touristiqu­e, c’est vrai, mais elle est restée une ville d’artistes.»

«Vous aimez? Vous reviendrez?» me demande-t-elle. Et sans attendre ma réponse, elle enchaîne: «Mais quelle question ! Vous reviendrez. On revient toujours à San Miguel… »

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PHOTOS CAROLYNE PARENT Dans son centro sans feux de circulatio­n, 24 pâtés de maisons aux couleurs d’un tableau de la Kahlo se disputent notre attention. Ici, l’École des beaux-arts.
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 ??  ?? Un vendeur de barbe à papa déambule dans les rues de la ville.
Un vendeur de barbe à papa déambule dans les rues de la ville.

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