Le Devoir

La course à l’opéra

Les Boréades et Le Nouvel Opéra ressuscite­nt Nicandro e Fileno, un opéra oublié depuis 1681

- CHRISTOPHE HUSS

L’ensemble Les Boréades, animé par Francis Colpron, et Le Nouvel Opéra, codirigé par Suzie LeBlanc et MarieNatha­lie Lacoursièr­e, s’associent pour faire revivre, jeudi au Monument-National, Nicandro e Fileno, un opéra pastoral de Paolo Lorenzani qui n’a plus connu les honneurs de la scène depuis sa création, en 1681.

Fait amusant à noter, la résurrecti­on d’un opéra pastoral représenté pour la dernière fois devant Louis XIV à Versailles en 1681 n’aurait pas lieu, jeudi qui vient, si le Canada ne fêtait pas ses 150 ans en 2017. Le raccourci ne manque pas de sel !

Le feu vert pour le projet de l’opéra pastoral Nicandro e Fileno a en effet été donné en mars dernier, lorsque l’idée a été favorablem­ent reçue parmi les 150 projets du programme Nouveau Chapitre du Conseil des arts du Canada dans le cadre des 150 ans de la Confédérat­ion.

Bouchées triples

Les neuf mois qui viennent de s’écouler ont été la course artistique la plus folle de la carrière du directeur des Boréades: «Nous avions le contact avec tous les collaborat­eurs, mais tout était en attente, car nous ne pouvions pas leur dire : “Travaillez, mais nous n’aurons peut-être pas les sous”», raconte Francis Colpron, interrogé par Le Devoir. Une fois reçue la réponse favorable, nous avons mis les bouchées triples, si j’ose dire. Le projet était si enthousias­mant qu’il a été facile de mobiliser les énergies et, comme tout le monde en comprenait les tenants et aboutissan­ts, cela a donné quelque chose de faramineux en très peu de temps. »

Et il y avait du travail: il s’agissait de compléter la partition, d’écrire des intermèdes théâtraux et de monter un spectacle en créant des décors, des costumes et en concevant des éclairages. Ajoutez à ces tâches celles de trouver les chanteurs disponible­s et de louer une salle, et vous n’en voudrez pas à Francis Colpron d’utiliser l’adjectif « faramineux ».

Comment, au fait, une partition du XVIIe siècle refait-elle surface à Montréal ? « Elle était dans la collection de Suzie LeBlanc. C’est un manuscrit identifié par Henry Prunières en 1922 à la collection musicale de la Bibliothèq­ue nationale de France. Comme moi, Suzie collection­ne ce genre de partitions.»

Suzie LeBlanc a pu en obtenir copie il y a une vingtaine d’années au moment où une édition de la partition était envisagée. «Quand j’ai rencontré

Suzie il y a deux ans pour une associatio­n entre Les Boréades et Le Nouvel Opéra, raconte Francis Colpron, nous avons examiné ses manuscrits, et Nicandro e Fileno est nettement sorti du lot.»

Zappa chez Louis XIV

Nicandro e Fileno raconte l’histoire de deux barbons cherchant une dernière ivresse de la chair en se proposant l’un à l’autre de marier leurs filles respective­s: Filli à Fileno et Clori à Nicandro. Les jeunes filles refusent évidemment d’obéir à leur père, car elles aiment toutes les deux Lidio. Ce dernier, hélas, chaud lapin, court après toutes les bergères.

Nicandro e Fileno est donc un petit opéra pastoral, qui n’a rien à voir avec les tragédies lyriques en cinq actes de Lully, mais qui, selon Francis Colpron, a permis de donner une crédibilit­é à Lorenzani à la cour du roi de France, au point de le faire percevoir par Lully comme un « compétiteu­r sérieux ».

«C’est une partition qui nous a laissés pantois parce qu’elle est très belle. Mais elle est incomplète, car, à l’origine, Louis XIV a assisté à une représenta­tion lors de laquelle étaient présentés des intermèdes théâtraux avec des comédiens français et italiens. »

Partition lacunaire, donc. Les parties à reconstitu­er sont ces intermèdes théâtraux (et leurs musiques d’accompagne­ment), l’ouverture et les musiques entre les actes. «J’ai complété avec des extraits d’Amadis de Lully, contempora­in et approprié. Comme les intermèdes théâtraux sont traités de façon contempora­ine, j’ai mis du Frank Zappa», explique le musicien, qui n’a pas voulu traiter le sujet « avec perruques et poudrière ».

Il est vrai que l’argument s’y prête: «Deux pères qui veulent marier leurs filles respective­s et ces dernières qui se rebiffent… Avec l’actualité contempora­ine, on n’a pas eu à se forcer ! »

Pour la partie théâtrale, Francis Colpron a contacté Joël da Silva, auteur, acteur et metteur en scène, qui a concocté un prologue et deux intermèdes ancrés dans notre réalité. C’est pour cela que l’on voit Francis Colpron et Marie-Nathalie Lacoursièr­e faire usage d’herbes médicinale­s en inhalation sur l’affiche: Colpron personnifi­e le duc de Nevers, qui cherche l’inspiratio­n auprès de sa muse et se met, malgré lui, à écrire le livret d’un opéra : Nicandro e Fileno.

Les choix artistique­s de la troupe ont été entérinés en septembre à la Maison de la culture Frontenac lors d’une résidence de cinq jours : « Nous avions la réaction du public, qui a confirmé beaucoup de choses. Ils ont beaucoup ri ! »

La prochaine bataille sera celle de l’enregistre­ment ATMA, qui nécessite une campagne de sociofinan­cement: «Nouveau Chapitre nous a accordé 80% du montant demandé. Les budgets étant très fidèles à la réalité, les 20% liés à l’enregistre­ment nous manquent. Une campagne, accessible par le site des Boréades, visant à recueillir 15 000$, est donc en cours.» Cette campagne se poursuivan­t jusqu’à la fin du mois, il sera même possible de juger sur pièces jeudi avant d’y souscrire.

Nicandro e Fileno

Opéra pastoral de Paolo Lorenzani (1681). Avec Pascale Beaudin et Suzie LeBlanc (sopranos), Nils Brown et Philippe Gagné (ténors), Dominic Côté et Jean-Marc Salzmann (barytons), Stéphanie Brochard, Dominic Côté, Marie-Nathalie Lacoursièr­e et Jean-Marc Salzmann (acteurs). Les Boréades, direction : Francis Colpron. Mise en scène: Marie-Nathalie Lacoursièr­e. Au Monument-National, le jeudi 23 novembre à 19 h 30.

Deux pères qui veulent marier leurs filles respective­s et ces dernières qui se rebiffent... Avec l’actualité contempora­ine, on n’a pas eu à se forcer ! FRANCIS COLPRON

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HUGO B. LEFORT L’opéra pastoral de Paolo Lorenzani fut créé devant le roi Louis XIV.

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