Le Devoir

Rimes féminines

Le quartet Bad Nylon s’affirme avec assurance grâce à sa chanson Rappa

- PHILIPPE RENAUD

On pourrait considérer Bad Nylon comme la réponse féminine à Alaclair Ensemble, Dead Obies et Loud x Lary x Ajust. Ou comme des passionnée­s de hip-hop osant monter sur scène, en groupe, pour se tailler une place sur la scène rap québécoise francophon­e. «Je ne veux pas être considérée comme un modèle, mais si j’en deviens un, tant mieux, lance Kayiri. Moi-même, si j’avais vu plus de rappeuses sur scène, j’en serais probableme­nt devenue une plus tôt.» DJ Audrey Bélanger rapplique : « Ça nous est arrivé après un concert qu’une ado, même une fille de 18 ans, vienne nous voir pour nous dire qu’on lui a donné envie de faire du rap. Si y en a seulement une qui le fait, juste une, pour moi, c’est mission accomplie. »

On pourrait aussi considérer les quatre musicienne­s de Bad Nylon comme des pionnières, puisque, sauf oubli, un groupe de rap 100% féminin, ça ne s’est jamais vu ici, et rarement aux États-Unis. «Et les filles de Salt-NPepa ne produisaie­nt même pas leurs propres beats, ce qu’on fait», note la compositri­ce, productric­e et MC Marie-Gold. Or, elles préférerai­ent qu’on ne les considère que pour la qualité de leur travail. Lequel, à en juger par leurs récentes chansons, a spectacula­irement gagné en finesse et en maturité. Après deux EP d’apprentiss­age,

Musique de brunch et Le deuxième set, parus en 2015, Bad Nylon a appris ses leçons, ça saute aux oreilles. Ça sautera aux vôtres ce samedi soir, alors que le quartet est invité à performer à l’affiche de M pour Montréal. Pour mémoire Retournons cinq ans plus tôt. MarieGold, la seule membre originale du groupe original toujours active, attrape la fièvre du rap : « C’est l’énergie du rap qui m’attirait. Il y a cinq ans émergeait vraiment un autre rap québécois, dans la foulée du mouvement piu piu», plateforme de décollage des

Les haters, c’est sûr qu’il y en avait. Là, je pense que ça se calme parce que ça fait un moment qu’on est sur la scène. KAYIRI

compositeu­rs-DJ-producteur­s qui font aujourd’hui les manchettes. À force de côtoyer la scène et d’assister aux concerts, elle décide de plonger. «Je me suis dit: tant qu’à vouloir rapper, autant le faire sur mes propres beats. J’aime vraiment ça, la production. »

Kayiri s’est jointe au groupe en tant qu’accompagna­trice. «Je connaissai­s une autre fille du groupe original, j’ai ensuite rencontré Marie-Gold qui cherchait des instrument­istes pour jouer sur l’album.» Kayiri a eu un violon dans les mains durant la majorité de son existence. Études au Conservato­ire, en classique et en jazz, « mais j’ai toujours écouté du hip-hop, je tripais sur le rap d’ici. Un jour, j’ai vu Alaclair en concert et me suis dit: OK, moi aussi je serais capable de faire ça. »

DJ Audrey Bélanger est arrivée plus tard parce que le groupe cherchait une DJ pour les accompagne­r en concert. Autour de la table ne manque que MC Zoz, retenue en Europe. «La difficulté d’être une femme dans le rap, avance Marie-Gold, c’est qu’il y en a tellement peu que si tu veux monter un groupe, il faut composer avec l’horaire de celles qui peuvent et que toutes aient les mêmes objectifs. Zoz se consacre beaucoup à sa carrière d’actrice, faut qu’on s’arrange avec ça…»

Marie-Gold est pour ainsi dire prudente. La difficulté d’être une femme dans le rap est une question logistique, vraiment? Elles ne veulent pas mettre l’accent là-dessus, ça se sent. La scène est peut-être un boys’ club, mais la musique n’est pas «genrée». «Qu’est-ce que les femmes peuvent apporter dans le rap, au juste? se demande MarieGold. Femme ou homme, ce sont les individus qui enrichisse­nt la musique, comme artiste.»

Accueil hostile

Quand même, avouent-elles, les premiers pas de Bad Nylon ont été accueillis avec une hostilité certaine. Marie-Gold: «Au début, ça a créé pas mal d’émoi sur la scène. Dans des milieux très “rap queb”, c’est sûr que ça a fait parler et qu’on a reçu pas mal de commentair­es… violents. » Kayiri : « Les

haters, c’est sûr qu’il y en avait. Là, je pense que ça se calme, parce que ça fait un moment qu’on est sur la scène. L’important, c’est de continuer.»

La preuve est tombée en juillet dernier. La chanson Girl Gang d’abord, chanson au groove insidieux et enfumé, touches de cuivres et synthé G-funk qui rampent derrière les voix, choeurs aux couleurs gospels, les trois MC qui rappent en même temps. Deux jours plus tard arrivait

Rappa, son atmosphère nocturne totalement différente, en phase avec le son trap planant du moment — la meilleure compositio­n instrument­ale de Marie-Gold à ce jour —, avec les MC qui s’illustrent à tour de rôle tout en faisant un clin d’oeil à l’une des meilleures rappeuses de l’histoire de la scène, Missy Elliott. Le clip hyperléché, signé par la réalisatri­ce Caraz, montre quatre musicienne­s en puissance et en contrôle. «Ce qui se dégage de nos shows, c’est l’idée d’empowermen­t. C’est notre énergie, nous qui nous approprion­s la scène. »

On pourrait parler de Bad Nylon parce qu’un groupe de rap féminin au Québec, c’est quasiment inouï. Ou, plus simplement, parce que Rappa est une sacrée bonne chanson. Elle en annonce de meilleures — les musicienne­s sont présenteme­nt en studio pour finir d’enregistre­r leur troisième EP, alors que Marie-Gold et Kayiri complotent déjà leurs projets solos.

Bad Nylon

Avec Le Couleur et Lydia Képinski, à l’Escogriffe ce samedi à 16h15.

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ALEXIS BELHUMEUR-COUPAL Les quatre musicienne­s de Bad Nylon sont des pionnières du rap québécois.

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