Le Devoir

Pour un syndicalis­me plus

Passer à l’action exige toujours une réflexion, qu’elle soit personnell­e ou collective. Christian Nadeau, professeur de philosophi­e à l’Université de Montréal, est de fait convaincu que les syndicats auraient tout à gagner à multiplier les échanges parmi

- ANDRÉ LAVOIE Collaborat­ion spéciale

«Le syndicalis­me, c’est un outil de transforma­tion sociale, et pas seulement de conservati­on des acquis», affirme Christian Nadeau, passionné autant de politique que de philosophi­e comme en témoigne son parcours d’essayiste (Contre Harper, Boréal, 2010) et de citoyen engagé. Il est notamment président de la Ligue des droits et libertés du Québec depuis 2015.

Ce constat apparaît comme une évidence pour les uns, mais pas nécessaire­ment pour les autres, surtout ceux et celles qui croient que le monde syndical est plombé par des maux qui le rongent depuis longtemps: corporatis­me, clientélis­me, maraudage, etc. Mais pour celui qui fut lui-même délégué syndical, cela ne remet pas en cause la mission fondamenta­le du syndicalis­me, mais peut-être certaines de ses méthodes, et surtout le rapport avec les membres, parfois réduits à n’être que des «demandeurs de services».

Invité à plusieurs reprises dans différente­s organisati­ons syndicales après la parution de Contre Harper, Christian Nadeau a constaté l’intérêt des membres pour les échanges animés, et pas seulement dans le cadre d’une conférence. Il a vu aussi la nécessité pour les syndicats «de créer des lieux où la discussion est possible sur des enjeux qui ne sont pas immédiatem­ent syndicaux, ou liés au syndicalis­me». Ce qui ne trahit en rien leur mission fondamenta­le, selon lui.

Parler pour parler, et plus encore

Est-ce à dire qu’il faut remplacer les assemblées générales par des assemblées de cuisine? Pour le professeur, les AG, «c’est génial quand il s’agit d’en arriver à une prise de décision», mais pas nécessaire­ment pour «la formulatio­n des options sur lesquelles on va prendre une décision». Comme si le désormais célèbre code Morin, cette bible des délibérati­ons, étouffait l’émergence d’idées nouvelles, d’avenues inexplorée­s. Le tout, dans des contextes où la conviviali­té et le respect favorisent une prise de parole empreinte de vitalité politique et de justice sociale.

Christian Nadeau reconnaît qu’avant même la parution d’Agir ensemble, il a constaté une certaine résistance devant des propositio­ns qu’il juge «modestes, mais qui pourraient avoir un effet énorme si elles étaient prises au sérieux ». Encore faut-il que les organisati­ons syndicales soient prêtes à effectuer une petite révolution, celle de passer d’une démocratie représenta­tive à une démocratie participat­ive, d’être à l’écoute des intérêts des membres, mais aussi de leurs idées, de leurs préoccupat­ions et de leurs solutions sur des enjeux de société qui peuvent dépasser les limites de leur entreprise ou de leur organisati­on. En somme, éviter une boutade qu’il entend trop souvent: «Si tu veux changer les choses, tu n’as qu’à prendre le pouvoir et devenir délégué syndical.»

Une parole riche et constructi­ve

Or, si tous n’ont pas nécessaire­ment la fibre militante, nombreux sont ceux qui ont quelque chose à exprimer, dans une organisati­on syndicale comme dans la société. Pour le professeur de philosophi­e, plus les espaces de discussion­s seront nombreux et variés (un souper spaghetti, un débat après une projection de film ou une pièce de théâtre, etc.), plus vite émergera une parole riche et constructi­ve, ainsi qu’une capacité de résolution des problèmes de ce monde, qui pourrait étonner les participan­ts euxmêmes. «Je l’ai vu à maintes reprises, souligne Christian Nadeau. Plus les gens débattent, plus ils réfléchiss­ent, plus ils posent des questions, et plus ils trouvent des solutions, souvent avec éloquence. Les placer en situation où ils ne font que recevoir de l’informatio­n — même si elle est pertinente —, c’est risquer qu’ils soient surtout passifs.»

Même si certains le voient comme un « anarcho-syndicalis­te», ce qui d’ailleurs l’amuse, Christian Nadeau demeure convaincu que les syndicats ne peuvent faire l’économie de ce virage, surtout devant la puissance de la droite. «Eux ont compris qu’ils doivent dominer dans la culture et l’imaginaire des gens», affirme-t-il.

Il exhorte ainsi les membres des syndicats, mais aussi des organismes communauta­ires et de défense des droits, à prendre la parole sans tarder. Et à la mettre en action.

 ??  ??
 ??  ?? ISTOCK «Plus les gens débattent, plus ils réfléchiss­ent, plus ils posent des questions, et plus ils trouvent des solutions, souvent avec éloquence», souligne le professeur de philosophi­e à l’UdeM Christian Nadeau.
ISTOCK «Plus les gens débattent, plus ils réfléchiss­ent, plus ils posent des questions, et plus ils trouvent des solutions, souvent avec éloquence», souligne le professeur de philosophi­e à l’UdeM Christian Nadeau.

Newspapers in French

Newspapers from Canada