Pour un syndicalisme plus
Passer à l’action exige toujours une réflexion, qu’elle soit personnelle ou collective. Christian Nadeau, professeur de philosophie à l’Université de Montréal, est de fait convaincu que les syndicats auraient tout à gagner à multiplier les échanges parmi
«Le syndicalisme, c’est un outil de transformation sociale, et pas seulement de conservation des acquis», affirme Christian Nadeau, passionné autant de politique que de philosophie comme en témoigne son parcours d’essayiste (Contre Harper, Boréal, 2010) et de citoyen engagé. Il est notamment président de la Ligue des droits et libertés du Québec depuis 2015.
Ce constat apparaît comme une évidence pour les uns, mais pas nécessairement pour les autres, surtout ceux et celles qui croient que le monde syndical est plombé par des maux qui le rongent depuis longtemps: corporatisme, clientélisme, maraudage, etc. Mais pour celui qui fut lui-même délégué syndical, cela ne remet pas en cause la mission fondamentale du syndicalisme, mais peut-être certaines de ses méthodes, et surtout le rapport avec les membres, parfois réduits à n’être que des «demandeurs de services».
Invité à plusieurs reprises dans différentes organisations syndicales après la parution de Contre Harper, Christian Nadeau a constaté l’intérêt des membres pour les échanges animés, et pas seulement dans le cadre d’une conférence. Il a vu aussi la nécessité pour les syndicats «de créer des lieux où la discussion est possible sur des enjeux qui ne sont pas immédiatement syndicaux, ou liés au syndicalisme». Ce qui ne trahit en rien leur mission fondamentale, selon lui.
Parler pour parler, et plus encore
Est-ce à dire qu’il faut remplacer les assemblées générales par des assemblées de cuisine? Pour le professeur, les AG, «c’est génial quand il s’agit d’en arriver à une prise de décision», mais pas nécessairement pour «la formulation des options sur lesquelles on va prendre une décision». Comme si le désormais célèbre code Morin, cette bible des délibérations, étouffait l’émergence d’idées nouvelles, d’avenues inexplorées. Le tout, dans des contextes où la convivialité et le respect favorisent une prise de parole empreinte de vitalité politique et de justice sociale.
Christian Nadeau reconnaît qu’avant même la parution d’Agir ensemble, il a constaté une certaine résistance devant des propositions qu’il juge «modestes, mais qui pourraient avoir un effet énorme si elles étaient prises au sérieux ». Encore faut-il que les organisations syndicales soient prêtes à effectuer une petite révolution, celle de passer d’une démocratie représentative à une démocratie participative, d’être à l’écoute des intérêts des membres, mais aussi de leurs idées, de leurs préoccupations et de leurs solutions sur des enjeux de société qui peuvent dépasser les limites de leur entreprise ou de leur organisation. En somme, éviter une boutade qu’il entend trop souvent: «Si tu veux changer les choses, tu n’as qu’à prendre le pouvoir et devenir délégué syndical.»
Une parole riche et constructive
Or, si tous n’ont pas nécessairement la fibre militante, nombreux sont ceux qui ont quelque chose à exprimer, dans une organisation syndicale comme dans la société. Pour le professeur de philosophie, plus les espaces de discussions seront nombreux et variés (un souper spaghetti, un débat après une projection de film ou une pièce de théâtre, etc.), plus vite émergera une parole riche et constructive, ainsi qu’une capacité de résolution des problèmes de ce monde, qui pourrait étonner les participants euxmêmes. «Je l’ai vu à maintes reprises, souligne Christian Nadeau. Plus les gens débattent, plus ils réfléchissent, plus ils posent des questions, et plus ils trouvent des solutions, souvent avec éloquence. Les placer en situation où ils ne font que recevoir de l’information — même si elle est pertinente —, c’est risquer qu’ils soient surtout passifs.»
Même si certains le voient comme un « anarcho-syndicaliste», ce qui d’ailleurs l’amuse, Christian Nadeau demeure convaincu que les syndicats ne peuvent faire l’économie de ce virage, surtout devant la puissance de la droite. «Eux ont compris qu’ils doivent dominer dans la culture et l’imaginaire des gens», affirme-t-il.
Il exhorte ainsi les membres des syndicats, mais aussi des organismes communautaires et de défense des droits, à prendre la parole sans tarder. Et à la mettre en action.