Le prix de la pauvreté
On parle beaucoup de décrochage scolaire ces jours-ci, et le ministre Sébastien Proulx cherche toutes sortes de solutions «en dehors de la boîte». Il n’y a qu’à penser à l’initiative Lab-École, pilotée par quatre hommes de la même génération, des outsiders du très féminin milieu de l’éducation.
Or, tant pour Alain Marois, vice-président à la vie politique de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), que Joanne Bertrand, viceprésidente responsable de la condition des femmes au sein de la même organisation, le seul lien de corrélation démontré à ce jour demeure celui entre décrochage scolaire et pauvreté.
«Si le taux de décrochage scolaire dans Westmount est de 4%, il est de 40% à Pointe-SaintCharles, indique Mme Bertrand. La pauvreté est le principal facteur de décrochage scolaire.»
Selon elle, on établit trop souvent de «faux problèmes» en éducation et on avance donc de « fausses solutions ».
« On se demande s’il faut plus d’hommes enseignants, si on doit s’attaquer à la mixité des écoles, illustre-t-elle. Pourtant, une étude du Conseil supérieur de l’éducation a démontré que la non-mixité ne bénéficiait pas aux garçons, mais plutôt aux filles. Bref, on a beaucoup d’idées reçues, simplistes et de préjugés. On ne s’attaque pas au vrai problème: la pauvreté. »
La vice-présidente responsable de la condition des femmes au sein de la FAE déplore une gestion à courte vue de la part des politiciens, qui ne cherchent qu’à être réélus. «Ça n’a pas de bon sens, une société a besoin d’une vision à moyen et à long terme ! »
Le décrochage, un problème masculin?
« On a beaucoup parlé du taux de décrochage des garçons, moins de celui des filles et c’est compréhensible, poursuit Joanne Bertrand, vu que les garçons décrochent davantage, et ce, pour toutes sortes de raisons, comme les stéréotypes sexuels. »
En effet, des recherches internationales citées par le Réseau réussite Montréal, un regroupement piloté conjointement par 33 organismes, dont les cinq commissions scolaires de l’île de Montréal, l’UQAM, l’Université McGill et la FAE, montrent que les troubles de comportement et d’apprentissage des garçons à l’école ont des liens avec la construction de leur identité masculine.
« Les normes sociales amènent des garçons à être moins engagés à l’école: une culture du jeu très présente, la transgression perçue comme virile, la forte préoccupation de s’affirmer par rapport aux pairs et aux filles », peut-on lire dans le rapport publié par le regroupement.
Néanmoins, la vice-présidente indique que le décrochage des filles a aussi un lourd impact à long terme et que, bien souvent, les jeunes qui décrochent, garçons ou filles, ont une mère qui est elle aussi une décrocheuse.
«Pour savoir si une école est située dans un milieu défavorisé et nécessite des subventions particulières, le gouvernement utilise l’indice de milieu socio-économique, qui se base pour un tiers sur le niveau de pauvreté des familles et pour deux tiers sur la scolarisation de la mère, c’est dire ! » illustre-t-elle.
Mme Bertrand ajoute que, bien que les rôles parentaux aient évolué, dans la majorité des cas, c’est encore la mère qui assure le suivi avec l’établissement scolaire.
Lutter contre la pauvreté
Si l’on sait que la pauvreté touche davantage les femmes, il en va de même pour ce qui est de l’écart salarial entre les décrocheuses et les hommes dans la même situation.
«Le revenu annuel moyen des décrocheurs est de 24 000$, tandis que pour les décrocheuses, c’est seulement 16 400 $, indique Joanne Bertrand. On peut comprendre que les filles restent davantage sur les bancs d’école quand il n’y a pas d’horizons autres pour elles que la pauvreté en décrochant. »
Le décrochage scolaire coûte cher à la société, entraîne de nombreux problèmes sociaux, qui se transmettent souvent de génération en génération. À ce sujet, le vice-président à la vie politique de la FAE, Alain Marois, rappelle que le plan d’action en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale que le gouvernement Couillard devait déposer tôt cet automne se fait toujours attendre.
D’ailleurs, dans la foulée, un comité d’expert avait été mis sur pied pour évaluer l’implantation d’une mesure comme le revenu minimum garanti (RMG), qui consiste à regrouper plusieurs programmes — comme l’aide sociale et de nombreux crédits d’impôt — pour ne verser qu’une seule prestation aux contribuables. Or, la mesure a été écartée par le comité.
Le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale François Blais est un ardent promoteur du RMG, à propos duquel il a même écrit un livre. Plutôt critique envers le rapport livré par le comité d’experts, il a néanmoins indiqué qu’il s’en servirait pour élaborer son attendu plan de lutte contre la pauvreté.
Une mesure progressiste ?
Contrairement aux idées reçues, Alain Marois indique que le RMG n’est pas nécessairement une mesure progressiste. « Beaucoup de gens à droite le perçoivent comme une manière d’épargner pour l’État en diminuant les frais administratifs, explique-t-il. C’est aussi vu comme une mesure économique pour relancer la consommation et il y a donc un lobby qui pousse pour ça, sous couvert de vertu.»
À la FAE, la crainte est que le gouvernement se serve du revenu minimum garanti comme d’un prétexte pour couper encore davantage dans le filet social, par exemple en augmentant les frais dans les services de garde et les écoles. «On a déjà un filet social au Québec, on pourrait peut-être au moins s’assurer que cela fonctionne ? » lance-t-il.
S’il reste critique quant au RMG, M. Marois rappelle que la mesure a donné de bons résultats là où elle a été implantée, comme au Manitoba dans les années 1950. «Ce n’est pas une incitation à la paresse, dit-il. Les gens ont pu retourner aux études, mieux prendre soin de leurs enfants, retrouver leur dignité. »
Même si «cela n’a jamais été fait à grande échelle et sur une longue période», il indique que les bienfaits constatés sont réels.
Il soulève néanmoins quelques points de complexité générés par les deux ordres de gouvernement à Québec et à Ottawa. «Le fédéral viendrait-il imposer un revenu minimum garanti octroyé Québec?» s’interroge-t-il.
En somme, la FAE dit oui au revenu minimum garanti, mais comme complément aux mesures sociales existantes et à l’implantation d’un salaire minimum « viable ».
«On collabore avec l’IRIS, on sait que le salaire minimum à 15$ l’heure, c’est un dossier complexe avec toutes sortes de particularités régionales, et donc que cela pourrait être modulable, mais grosso modo, il faudrait quelque chose autour de 15 $. »