Le Devoir

Des modificati­ons attendues avant Noël

S’exprimant à titre de président du Rendez-vous national de la main-d’oeuvre organisé à Québec en février dernier, le premier ministre Philippe Couillard a affirmé que son gouverneme­nt proposerai­t rapidement des mesures visant à améliorer la qualité de vi

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

Parmi les mesures attendues par les syndicats, on trouve celles que la plupart d’entre eux revendique­nt au moyen de la campagne du 510-15: le fait de connaître son horaire cinq jours à l’avance, de bénéficier de dix jours de congé payés pour maladie ou besoins familiaux et bien sûr le salaire minimum à 15 $.

«Le Québec a longtemps été à l’avant-garde en matière de conditions de travail, estime le président de la Confédérat­ion des syndicats nationaux (CSN), Jacques Létourneau. Mais avec l’Ontario et même l’Alberta, qui s’en vont vers un salaire minimum à 15$, nous sommes en train de nous faire dépasser. Quant aux cinq jours d’avis et aux dix jours de congé maladie, si le gouverneme­nt souhaite, comme il le dit, favoriser la conciliati­on travail-familleétu­de, il n’aura pas le choix de procéder.»

M. Létourneau rappelle que ce sont principale­ment les femmes, surtout dans le cas d’une famille monoparent­ale, obligées parfois de cumuler plusieurs emplois, qui pâtissent le plus du risque de se faire appeler un soir pour entrer au travail le lendemain matin. Que ce sont elles également qui le plus souvent prennent un jour de congé pour rester auprès d’un enfant malade ou pour consacrer du temps à un parent en perte d’autonomie. Elles également qui occupent le plus les postes au salaire minimum. Rehausser les normes du travail irait donc dans le sens d’une meilleure équité femmes-hommes au travail.

Mais au-delà de ces trois revendicat­ions centrales dans le monde syndical depuis quelques années, la question des vacances devrait également être revue, croient d’autres observateu­rs.

Plus de vacances pour plus de productivi­té

«Nous devrions nous aligner sur ce qui se pratique en Europe, indique Guillaume Hébert, chercheur à l’Institut de recherche et d’informatio­ns socioécono­miques (IRIS). Aujourd’hui, seules deux semaines sont inscrites aux normes du travail. Le gouverneme­nt évoque la possibilit­é de passer à trois cet automne. Il en faudrait au moins quatre à notre avis, et le mieux serait d’aller vers cinq ou six, comme dans la plupart des pays européens. »

M. Hébert souligne que, partout où il y a beaucoup de congés payés, la productivi­té est meilleure. Que l’absentéism­e est réduit parce que les travailleu­rs sont plus reposés et qu’ils ont eu l’occasion de prendre du recul. Que leur niveau de stress baisse, les troubles de l’anxiété également. Bref, que cela représente une bonne recette pour prévenir l’épuisement profession­nel, « cette épidémie qui se développe de plus en plus rapidement ».

«Derrière l’augmentati­on du nombre de jours de vacances, il y a également le droit à la déconnexio­n, ajoute le chercheur. Car partir en congé c’est bien, mais si on renoue tous les jours avec le stress du travail parce que l’on reçoit un courriel, ça ne fonctionne pas. En Europe, certains patrons l’ont bien compris et octroient des bonus aux salariés qui coupent complèteme­nt le fil.»

Selon les chercheurs de l’IRIS, c’est en fait toute la question du temps qui devrait être redéfinie. Ils insistent par exemple pour que tous les travailleu­rs bénéficien­t du système permettant aux professeur­s de prendre une année sabbatique en mettant une partie de leur salaire de côté. Ils souhaitent que le statut de proche-aidant soit mieux défini et encadré afin de pallier les manques dans le domaine du service à domicile. Ils appellent également de leurs voeux une refonte de la Loi anti-briseurs de grève, arguant que les piquets de grève ne veulent plus dire grand-chose à l’heure du travail virtuel.

Quid des agences de placement?

Quelles que soient les propositio­ns qui seront mises sur la table d’ici la fin de l’année par le gouverneme­nt, la CSN croit, quant à elle, qu’elles devront forcément s’accompagne­r d’une réforme des agences de placement, comme s’y est engagé le premier ministre. Des agences qui aujourd’hui ne sont pas réglementé­es au Québec, contrairem­ent au reste du Canada.

«Ça signifie que demain, vous ou moi, on peut ouvrir une agence de placement, aller recruter des gens au métro Radisson, les envoyer dans des abattoirs de poulets ou travailler dans des hôtels, et puis disparaîtr­e quinze jours plus tard dans la nature sans avoir payé personne », explique le président du syndicat.

Il faut donc donner un cadre à ces agences, qui font travailler beaucoup d’immigrants illégaux à des conditions bien en deçà de ce que proposent à leurs propres employés les entreprise­s dans lesquelles ils sont placés.

« Il faudrait commencer par savoir qui sont les employeurs de ces travailleu­rs placés, précise M. Létourneau. L’agence ou l’entreprise? Ça permettrai­t de savoir de qui relève un arrêt de travail ou encore la formation. Quelqu’un qui doit couper la tête de 1000 poulets par jour, il faut bien qu’il apprenne à le faire. Aujourd’hui, il y a un vide qui fait en sorte que l’employé ne sait pas à qui s’adresser.»

Or si on rehausse les normes du travail, mais qu’on ne fait pas en sorte que les agences de placement doivent répondre à ces mêmes normes, le risque, c’est que de plus en plus d’employeurs contournen­t la loi en passant par les agences, fait valoir Jacques Létourneau.

Année électorale

Beaucoup d’attentes donc, de nature à améliorer la qualité de vie au travail. Mais pensent-ils que les prochaines annonces du gouverneme­nt ont des chances d’être à la hauteur ?

«On est en année électorale», répond le président de la CSN. Il n’est donc pas exagéré de croire que le gouverneme­nt fera des annonces intéressan­tes. Et puis, il y a aussi le contexte économique, le plein emploi dans de nombreuses régions du Québec, qui va certaineme­nt obliger les entreprise­s elles-mêmes à rehausser leurs conditions de travail pour attirer des salariés.

Quant à Guillaume Hébert, il se dit lui aussi «relativeme­nt confiant ».

« Que ce soit le salaire minimum ou le temps de travail, il y a eu beaucoup de chemin parcouru dans les dernières années partout en Amérique du Nord, note-t-il. Ce ne sont plus des revendicat­ions marginales. Je serais surpris que le gouverneme­nt décide de les ignorer totalement. »

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ISTOCK Jacques Létourneau rappelle que ce sont principale­ment les femmes qui pâtissent le plus du risque de se faire appeler un soir pour entrer au travail le lendemain matin.

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