Le Devoir

Le sang de la terre

Mathieu Roy rend compte de la misère paysanne dans Les dépossédés

- CRITIQUE MANON DUMAIS LE DEVOIR

Avec ses magnifique­s images fixes aux cadrages soignés croquant la vie quotidienn­e des paysans de l’Inde, du Brésil, du Congo et du Malawi, Les dépossédés de Mathieu Roy (Survivre au progrès) évoque la série des Profils paysans du grand Raymond Depardon. Alors que l’on sentait dans le regard rempli d’empathie et de tendresse du premier la volonté d’immortalis­er un mode de vie en voie de disparitio­n, c’est plutôt un mélange de colère et de sentiment d’urgence qui se devine chez le premier.

Il y a certes énormément de beauté dans Les dépossédés, une beauté hypnotique, époustoufl­ante, presque dérangeant­e. Alors qu’on se laisse séduire par le caractère introspect­if du film, la lenteur des gestes des paysans, hommes, femmes et, parfois, enfants, qui passent en silence, jetant un regard tantôt discret, tantôt frondeur à la caméra, on est secoués par les propos des différents intervenan­ts.

L’un d’eux, le journalist­e indien Palagummi Sainath, de loin le plus captivant et passionnan­t du lot, compare la situation des paysans à une forme de colonialis­me. Lorsque reviennent à l’écran les paysans se mouvant tels des spectres dans les champs, on saisit peu à peu l’horreur de la situation mondiale. On aurait presque envie de parler d’esclavagis­me.

Secondé par Richard Brouillett­e (L’encercleme­nt : la démocratie dans les rets du néolibéral­isme) à la recherche et au scénario, et Benoît

Les dépossédés dénonce avec virulence l’indifféren­ce des banques, des politiques et des multinatio­nales

Aquin (Ayiti Toma, au pays des vivants, de Joseph Hillel) au scénario et à la direction photo, Mathieu Roy signe une oeuvre documentai­re d’une grande richesse, où il témoigne de la grande misère à laquelle se heurtent les paysans aux quatre coins du monde. On aura même droit à une bouleversa­nte scène tournée au Québec, laquelle n’est pas sans rappeler une réalité que Sébastien Pilote décrivait sans fard dans Le démantèlem­ent.

Alliant images contemplat­ives et propos éclairants, Les dépossédés illustre sans détour la gravité de la crise agroalimen­taire et dénonce avec autant de virulence l’indifféren­ce des banques, des politiques et des multinatio­nales. À des années-lumière de Demain, documentai­re plus qu’optimiste de Cyril Dion et Mélanie Laurent, Les dépossédés

s’avère une oeuvre exigeante, sans compromis, dans la veine des documentai­res de Sylvain L’Espérance

(Combat au bout de la nuit), qu’il vaudrait mieux voir dans sa version intégrale plutôt que dans sa version commercial­e afin de saisir toute l’ampleur du désastre qui nous guette tous.

Les dépossédés

1/2 Documentai­re de Mathieu Roy. Canada (Québec), 2017, 183 minutes.

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FUNFILM Il y a une beauté hypnotique, presque dérangeant­e, dans Les possédés.

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