Le combat de la météo
Julien Grégoire fait conspirer les éléments contre ses personnages
La pluie a toujours été l’outil précieux des créateurs de fiction souhaitant souligner (sans trop de subtilité) la tristesse de leurs protagonistes. Rien de plus émouvant, c’est bien connu, qu’un amoureux éconduit offrant aux passants sa mine abattue sous une averse de novembre. L’égocentrique bibitte humaine se plaît visiblement à penser que tout l’univers, même dame Nature, partage son chagrin.
C’est ce bon vieux truc qu’emploie — avec la finesse d’une pluie printanière — Julien Grégoire dans Météo, son premier recueil de huit nouvelles envisagées comme autant de façons de tuer le temps en compagnie de personnages coincés entre deux étapes de la vie. Mais la pluie, le vent, la neige et la chaleur caniculaire sont moins ici le miroir des états d’âme de ces garçons et filles languides qu’une sorte de rempart se dressant entre eux et le monde, dont ils demeurent en marge. L’oeil de la tempête se trouve-t-il derrière ou devant eux? semblent-ils s’inquiéter.
Grâce à une écriture élégamment sagace, l’auteur, né en 1978 à Montréal, nomme avec précision ce sentiment éminemment humain donnant parfois aux éléments des allures de conspirateurs se démenant pour miner notre bonheur et notre quiétude (ce qui est, d’après les scientifiques que nous avons consultés, impossible). Il sait mettre en lumière le soupçon de comique que recèle toujours le désespoir.
«Plus les jours avançaient, plus le vent était froid, et quand la fin de l’automne est arrivée, c’était un fouet glacé et incessant», écrit-il dans Le
vent, la nouvelle aussi puissante que mystérieuse qui ouvre le livre. «Dès qu’on sortait dehors, on avait l’impression de se faire attaquer, une rage incontrôlable nous prenait au ventre, on cherchait à se défendre, mais tout ce qu’on pouvait faire c’était crier comme des perdus. Au fil des semaines la colère s’enlisait et, comme toute colère contre laquelle on ne peut rien, se transformait en folie.»
D’autres textes auscultent davantage l’étrangeté se lovant parfois au coeur du quotidien. Sans exactement flirter avec le fantastique, comme le prétend la quatrième de couverture, ces nouvelles mettent en lumière comment les journées trop brèves de l’hiver ténébreux et celles, suaves et longues, de l’été léger transforment notre rapport à l’espace et au temps.
Exemple : un jeune homme à qui on ne s’intéresse habituellement pas tellement rencontre une fille dans une fête. Elle lui demande son numéro de téléphone, puis l’appelle quelques jours plus tard, en l’intimant de venir chez elle la réchauffer. Son corps est complètement frigorifié. Elle dormira tout l’hiver chez le garçon, sans qu’il parvienne à connaître sa véritable identité. (Les pieds bleus, obsédante réflexion sur les mécanismes de la mémoire).
Sans jamais rien forcer et en refusant de tout attacher, le nouvelliste accompagne au je des narrateurs masculins et féminins qui peinent à comprendre ce qui leur arrive. Barouettés par un vent sournois, ils aimeraient parfois pouvoir se tourner vers une sorte de météorologue de l’existence, afin de savoir ce qui se profile à l’horizon de leur vie. Prévision à long terme (en forme de voeu): l’écriture de Julien Grégoire soufflera longtemps sur la littérature québécoise.