L’homme qui fuit
Jonathan Pedneault signe un premier roman percutant
Le titre du premier roman de Jonathan Pedneault, Toi aussi mon fils, pourrait laisser entrevoir l’histoire d’une trahison. Tu quoque mi fili, comme aurait dit César à Brutus, son fils assassin. Mais non! Derrière ces quatre mots, c’est plutôt sur les traces d’un homme qui fuit que part le primo-romancier, un homme interrompu, traumatisé qui dévoile sa détresse, ses ambiguïtés et sa misanthropie à un fils par l’entremise de carnets laissés derrière lui, après sa disparition. Un récit fort et percutant.
Antoine a été reporter de guerre et témoin de l’histoire qui s’écrit au quotidien. Il a fait le Rwanda au temps du génocide, a couvert pour
Libé la chute du mur de Berlin. Il a connu la montée des conservateurs en Israël, a fréquenté pour Le Fig’ le Moyen-Orient des extrêmes, celui des frappes aveugles et des explosions soudaines qui effacent de la surface du globe la présence de ceux qu’on aime.
Entre les femmes de sa vie — Sophie morte avec son amant caméraman en Égypte, et Valérie, la mère de son enfant qui souhaite s’installer avec son nouveau conjoint en Martinique —, Antoine vacille, marqué par la violence et l’enfer de ses passés multiples. Son existence a la forme d’une bombe à fragmentation dont il ne maîtrise pas très bien l’instabilité de chaque composante. Il est en colère et peine à retrouver cette paix intérieure que l’exposition à trop de guerre lui a fait perdre. Et les hommes, tout comme les femmes, qui font don de leur corps à la dualité de son orientation sexuelle, tout comme l’envie soudaine de renouer avec sa paternité, n’y changent rien.
C’est une fascinante histoire de rapprochement entre Antoine, le père, et Matisse, le fils, par la mémoire et les traces écrites que Jonathan Pedneault, ex-journaliste pigiste en terrain cahoteux et aujourd’hui enquêteur des droits de la personne en zone de conflit, raconte ici, dans un roman à la voix double et à la langue crue, vulgaire, rugueuse, sale et puante. Cette langue de ceux qui ont vu défiler sous leurs yeux une humanité en décomposition. Cette langue qui balise aussi les territoires où l’horreur, le sang et les exactions ne permettent plus à l’espoir de pousser.
Avec sa déferlante de «tarlouze», de «pouffiasse» et de «trop grave», le ton est plutôt franchouillard, mais sied parfaitement au journaliste parisien, figure centrale de ce récit, que Jonathan Pedneault évite de faire sombrer dans la caricature en maintenant sur un fil tendu toute la violence du regard qu’il pose sur le monde autour de lui. «Je rêve d’un monde dur, froid, brillant et sincère», écrit Antoine depuis Berlin Ouest, alors que le Mur vient de tomber. « D’un monde dénué de ces sentiments à la con, qui ne sont que des lubrifiants sociaux réservés aux efféminés de cette planète qui croient sans y réfléchir que nous avons besoin les uns les autres. »
Toi aussi mon fils a un souffle fort, celui d’une déflagration produite par cette ogive littéraire lancée à la face de l’humanité.