Le Devoir

Une biographie ressuscite Lionel Groulx

- CRITIQUE MICHEL LAPIERRE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

La première biographie digne de ce nom de Lionel Groulx (1878-1967) a toutes les qualités d’un ouvrage sérieux, érudit, exhaustif et pondéré, à l’exception du sous-titre: Le penseur le plus influent de

l’histoire du Québec. Peut-on être plus groulxiste que Groulx? La question nous brûle alors les lèvres. Une autre, plus terrible, nous assaille: peut-on être groulxiste aujourd’hui? Les réponses se cachent dans la connotatio­n sulfureuse du terme «nationalis­te».

Conscienci­eux, l’auteur de la monumental­e biographie, Charles-Philippe Courtois, spécialist­e de l’histoire intellectu­elle du Québec, établit dans l’avant-propos que, «en tant que prêtre, Groulx n’a jamais voulu s’engager directemen­t en faveur d’une option constituti­onnelle spécifique à proposer dans un programme politique ». Il signale que l’historien a toutefois estimé, dans Notre avenir

politique (1923), que la «Confédérat­ion canadienne paraît s’en aller inévitable­ment vers la rupture ».

Le même livre dirigé par Groulx va jusqu’à faire allusion à la possibilit­é pour le Québec «de prendre place dans le monde internatio­nal en qualité d’État souverain français d’Amérique». Mais curieuseme­nt, le souhait ne s’exprime pas au nom du principe des nationalit­és, au nom de ce qu’on appellera aussi la libération nationale, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou l’idée de décolonisa­tion. Il s’appuie plutôt sur le nationalis­me, terme si ambigu, très présent dans le Québec de l’époque.

Le mot trouve son prestige intellectu­el dans l’usage qu’en a fait, en France, une droite qui, altière, volontiers belliciste, impérialis­te et colonialis­te, sert de modèle ici à nos conservate­urs avides de culture hexagonale. Cette droite française qui ressemble à son équivalent britanniqu­e, conspué ironiqueme­nt par ceux qui se parent chez nous du qualificat­if emprunté de nationalis­tes, n’a, hélas, rien à voir avec les aspiration­s du peuple aussi dominé qu’appauvri auquel Groulx, né d’un père illettré, fait partie.

La distinctio­n fondamenta­le entre le nationalis­me propre aux puissances hégémoniqu­es et le désir de libération nationale chez les peuples asservis échappe à Courtois, qui reste impuissant à expliquer pourquoi le groulxisme sonne faux, dès les années 1950, à la nouvelle génération tant soit peu conscienti­sée.

Par bonheur, le souci d’exactitude du biographe compense sa naïveté lorsqu’il souligne, par exemple, l’appui de Groulx aux grévistes d’Asbestos en 1949, victimes d’une «industrie meurtrière ».

Courtois ne cache pas l’orgueil de Groulx qui juge ses supposés disciples, Guy Frégault, Michel Brunet et surtout Maurice Séguin, indignes de moderniser sa pensée historique. À son insu, sa savante biographie a quelque chose d’un réquisitoi­re inconscien­t contre Groulx pour qui sait la lire avec le sens de l’humour et avec lucidité.

Lionel Groulx Le penseur le plus influent de l’histoire du Québec

1/2 Charles-Philippe Courtois, Éditions de l’Homme, Montréal, 2017, 584 pages

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DOMAINE PUBLIC Une question nous assaille : peut-on être groulxiste aujourd’hui ?
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