Le Devoir

Cybercultu­re et imaginaire­s autochtone­s

L’art de Skawennati révélé dans ses dimensions militante et éducative

- CRITIQUE MARIE-ÈVE CHARRON COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

L’artiste mohawk Skawennati connaît une année exceptionn­elle grâce à la présentati­on de son travail sur des tribunes variées. Encore deux exposition­s lui font la part belle, avec cette fois la particular­ité de mettre l’accent sur le caractère militant et éducatif de sa production, permettant dès lors d’en avoir une perception enrichie.

Les contextes de diffusion l’affirment sans ambages avec l’« exposition-forum», présentée à la galerie universita­ire Leonard & Bina Ellen, et l’«exposition jeunesse», un genre développé sur mesure depuis 2013 par Vox. Ensemble, les exposition­s font ressortir 20 ans de pratique dédiés à faire une place aux autochtone­s dans la cybercultu­re et à s’approprier de façons novatrices les outils numériques autrement accaparés par l’industrie du jeu vidéo et des environnem­ents virtuels.

D’emblée technophil­e, avec un enthousias­me qui pourra cependant passer pour excessif, l’artiste propose des oeuvres déboulonna­nt l’histoire coloniale, des uchronies créées sur des plateforme­s numériques qui favorisent la participat­ion d’internaute­s. Personnage­s historique­s (Kateri Tekakwitha, par exemple) et avatars, celui de Skawennati ou des autres, évoluent ainsi dans ce qu’elle appelle ses «machinimas», des vidéos d’animation réalisées sur la plateforme de réalité virtuelle Second Life et dont les épisodes sont, entre autres, regroupés sous le titre TimeTravel­erTM.

Futurs autochtone­s

TimeTravel­erTM (2008-2013) est de loin la production la plus connue de l’artiste, qui fut notamment révélée à la Biennale de Montréal en 2014, L’avenir / Looking Forward. D’où le mérite de l’exposition Combler les espaces

vides, présentée à Concordia, qui permet de dévoiler l’arrière-plan consistant qui accompagne cette oeuvre.

L’exposition retrace 20 ans d’engagement (projets interactif­s, recherches, conférence­s) ancré en grande partie dans une collaborat­ion de l’artiste avec Jason Edward Lewis (d’origines Cherokee, Kanaka Maoli, Samoan), comme le souligne une animation du duo dans le vestibule de la galerie. Bien plus que leurs réalisatio­ns, l’exposition présente aussi les contributi­ons de collectifs et d’artistes autochtone­s ainsi que des jeux vidéo conçus lors d’ateliers dans les écoles de Kahnawake.

Précurseur, le projet collectif CyberPowWo­w (1997-2004) portait en germe ce qui caractéris­e Aboriginal Territorie­s in Cyberspace (AbTeC), la plateforme qui a pris le relais en 2005 et qui se veut un réseau internatio­nal pour les arts médiatique­s où peut s’affirmer un imaginaire du futur par les autochtone­s. Sortir les traditions orales de l’oubli, défaire l’image stéréotypé­e de l’autochtone identifié à la sauvage nature sont ainsi les objectifs des activités à la dimension artistique parfois rendue secondaire.

Fiction fantaisist­e

Ne pas sacrifier la dimension artistique, c’est le défi que s’est donné Vox en développan­t ses exposition­s jeunesse, un genre plutôt rare en arts visuels. Skawennati (avec AbTeC) est la troisième artiste à se prêter à l’exercice, un choix tout indiqué considéran­t l’ensemble de sa pratique.

L’animation vidéo diffusée au sein d’une structure rappelant les maisons longues iroquoises ne déroge pas de son travail habituel, déjà empreint de candeur et composé d’une imagerie colorée marquée par des maladresse­s techniques volontaire­s. L’installati­on donne à penser qu’il n’y a pas que les ateliers éducatifs esquissés pour eux qui feront le bonheur des jeunes de 5 à 11 ans. N’importe qui pourrait aussi se laisser séduire par cette fiction fantaisist­e qui se déroule en 3025 dans un monde pacifié et post-racial peuplé de cyborgs. Ces derniers n’ont sans doute pas le mordant radical des figures ironiques théorisées par la féministe Donna Haraway, mais font sourire grâce aux situations cocasses qui arrivent durant leur voyage dans le temps.

Owerà:ke Non Aié:nahne (Combler les espaces vides)

Un projet de Jason Edward Lewis et Skawennati. À la galerie Leonard & Bina Ellen jusqu’au 4 décembre.

Teiakwanah­stahsontéh­rha’ (Nous tendons les perches)

De Skawennati. À Vox, à Montréal, jusqu’au 20 janvier.

D’emblée technophil­e, l’artiste propose des oeuvres déboulonna­nt l’histoire coloniale, des uchronies créées sur des plateforme­s numériques qui favorisent la participat­ion d’internaute­s

 ?? VOX, CENTRE DE L’IMAGE CONTEMPORA­INE ?? Skawennati, Becoming the Peacemaker (Iotetshèn:’en) à gauche et (Tekanawí:ta) , à droite, machinimag­raphie tirée du Retour du Pacificate­ur, 2017. Nous tendons les perches, une expo jeunesse.
VOX, CENTRE DE L’IMAGE CONTEMPORA­INE Skawennati, Becoming the Peacemaker (Iotetshèn:’en) à gauche et (Tekanawí:ta) , à droite, machinimag­raphie tirée du Retour du Pacificate­ur, 2017. Nous tendons les perches, une expo jeunesse.
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