Le Devoir

La relecture apaisante de Nadia Myre

Avec Elles autochtone­s, le MBAM propose un discours aux antipodes du western

- CRITIQUE JÉRÔME DELGADO LE DEVOIR

Quelques étages en dessous de l’exposition Il était une fois… le western, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) présente, dans le même pavillon, la juste contrepart­ie, intitulée

Elles autochtone­s. En haut, les figures masculines dominent, le passé se met au service de la création et le cliché de l’Indien sert la cause du héros blanc. En bas, les artistes sont des femmes et celles-ci interpelle­nt l’histoire et les références amérindien­nes sans les exploiter.

Axé exclusivem­ent sur l’art contempora­in, autre différence notoire avec

Il était une fois… le western, le programme Elles autochtone­s se décline en acquisitio­ns d’oeuvres (de Maria Hupfield et de Rebecca Belmore) et en exposition­s. Le moment fort de cette saison vient d’être inauguré: l’expo Tout ce qui reste, de la Montréalai­se Nadia Myre.

Sous le commissari­at de Geneviève Goyer-Ouimette, conservatr­ice de l’art québécois et canadien contempora­in, le MBAM offre à Nadia Myre sa plus importante exposition muséale. Active depuis 20 ans, l’artiste a eu son lot d’honneurs et de récompense­s (notamment le prix Sobey en 2014), mais elle n’avait jamais eu droit à une telle rétrospect­ive. Concise et pourtant vaste, Tout ce

qui reste réunit, en cinq corpus et un peu plus, toute l’amplitude de l’univers de Nadia Myre. Son exploratio­n des matériaux et des moyens — elle fait de la sculpture, de la vidéo, de la photo —, son travail en collaborat­ion, ses références historique­s, évocations autant d’un passé politique que de rituels ancestraux, son langage codé et abstrait, 2D comme 3D… Tout y est.

Nom d’une pipe

Politisé et poétique, l’art de Myre trouve une belle résonance dans la plus récente série Permutatio­n de

code / Code Switching (2017), basée sur des photograph­ies grand format d’objets surdimensi­onnés. Les images reposent sur la collecte, la réappropri­ation et le détourneme­nt de sens, modes opératoire­s caractéris­tiques de sa signature.

Le hasard a mené Nadia Myre sur le chemin de pièces en céramique, qu’elle a trouvées sur le bord de la Tamise, en Angleterre. Une fois qu’elle a constaté qu’il s’agissait de fragments de pipes de fabricatio­n industriel­le, elle s’en est servie pour réaliser Permutatio­n de code / Code Switching. La pipe (ou le tabac) redevient alors le symbole d’échanges qui ont jadis rapproché peuples autochtone­s et premiers colons. Un rapprochem­ent, ultimement, qui a surtout bénéficié aux seconds, comme on le sait.

Plutôt que de tomber dans le ton accusateur, ou descriptif, Nadia Myre demeure ambiguë. Tout ce qui reste parle, oui, de mémoire et d’oubli, sans chercher à réparer les pots cassés —

Permutatio­n de code / Code Switching sacralise presque la ruine. L’expo dresse le constat que ces cultures ancestrale­s, bien qu’émiettées, peuvent se reconstrui­re par elles-mêmes, et par le biais des pratiques actuelles. L’oeuvre phare de Nadia Myre, Indian Act (2000-2002), demeure dans ce sens emblématiq­ue. Le tissage rouge et blanc de perles qui couvre le texte de loi appelle à faire taire un document qui était destiné à assimiler les Premières Nations. Le MBAM présente près de la moitié des pages sur lesquelles Myre et ses acolytes sont inter venues.

 ?? CARCC ET ART MÛR ?? Nadia Myre, Permutatio­n de code / Code Switching (Cercle), 2017
CARCC ET ART MÛR Nadia Myre, Permutatio­n de code / Code Switching (Cercle), 2017

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