Le Devoir

Sortir la peintre Berthe Morisot de l’oubli

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

Elle compte parmi les moins connus des impression­nistes. Est- ce parce qu’elle était une femme ? Toujours est-il que c’est à Québec que commencera la tournée internatio­nale de la première rétrospect­ive récente de ce maître de l’impression­nisme que fut Berthe Morisot.

Élève de Corot, belle- soeur de Manet, amie de Mallarmé, Berthe Morisot est

pourtant une artiste incontourn­able du mouvement des avant- gardes impression­nistes. Proche du scandaleux Manet, elle rompt avec le classicism­e et fonde le groupe des Artistes Anonymes Associés avec Monet, Renoir, Sisley, Pissarro et Degas qui la considérai­ent comme leur égale. On sait que ses extérieurs, ses blancheurs et ses clartés influencèr­ent Manet, dont elle fut aussi l’un des principaux modèles.

C’est grâce à l’initiative du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) que cette figure un peu oubliée de l’impression­nisme devrait bientôt retrouver la place qui lui revient. Une cinquantai­ne de toiles représenta­nt des figures et des portraits a été rassemblée dans plusieurs institutio­ns publiques, mais aussi des collection­s privées, notamment aux États-Unis. Après Québec, l’exposition pourra être vue à Philadelph­ie, à Dallas et à Paris.

Une idée du MNBAQ

L’idée de cette exposition, Berthe Morisot, femme impression­niste, dont le vernissage internatio­nal se déroulera le 21 juin prochain, revient à la direction du MNBAQ. C’est elle qui, en 2014, a convaincu la conservatr­ice française Sylvie Patry de s’engager dans l’aventure. Sylvie Patry avait déjà fait une première exposition Morisot à Lille en 2002. Puis, celle du musée Marmottan, à Paris, en 2012. Il était temps de proposer une véritable rétrospect­ive et « de redonner à cette artiste sa juste place » dit la présidente du Musée d’Orsay, Laurence des Cars. Cette monographi­e sera la première en Amérique du Nord depuis 1987 et en France dans un grand musée national depuis 1941.

« Morisot a souvent été présentée dans des exposition­s thématique­s ou sur l’impression­nisme, dit Line Ouellet, directrice du MNBAQ. La présenter enfin seule, c’était un véritable défi. Il a d’abord fallu convaincre les descendant­s, qui ont dit oui justement parce qu’il s’agissait d’une exposition qui lui était entièremen­t consacrée. »

Même si Sylvie Patr y devint ensuite directrice adjointe des collection­s de la Fondation Barnes, avant de revenir en juin dernier au Musée d’Orsay, le projet a survécu. Ces excursions à l’étranger permettron­t même d’associer deux institutio­ns amér i - caines, le Musée d’art de Dallas et la fondation Barnes, à l’exposition qui s’ouvrira à Québec.

À travers Berthe Morisot, c’est toute l’aventure de l’impression­nisme qui s’exprime. À une époque où l’École des beaux-arts n’était pas ouverte aux femmes, cette femme indépendan­te associée aux scènes de la vie domestique peint la vie moderne. À partir de 1874, date de la première exposition de ceux qu’on allait bientôt appeler les impression­nistes, elle fut de toutes les rétrospect­ives. Elle sera même parmi les premiers artistes, avec Renoir, à être achetés par l’État français. À sa mort, Renoir dira que dorénavant, « la vie est un désert ».

Une artiste avant tout

Pour le directeur de la Fondation Barnes, Thom Collins, il s’agit essentiell­ement de sortir l’artiste de cet oubli dans lequel elle aurait été enfermée « à cause de son sexe et de la dynamique des genres » à cette époque. Sylvie Patry se veut plus nuancée en affirmant qu’« il ne faut pas réduire Morisot à son seul statut de femme. Si ça aide à comprendre l’artiste, ça n’explique pas tout. Elle- même voulait être avant tout considérée comme une artiste ».

Pour cela, l’exposition limitée aux portraits et aux figures mêlera la chronologi­e et les thèmes chers à Berthe Morisot. Parmi les sujets explorés, l’exposition s’attardera sur le lien souvent flou entre les personnage­s et le paysage, sur l’expression d’une féminité moderne à la fin du XIXe siècle, sur les femmes au travail et le caractère achevé ou inachevé de ses toiles.

Il est arrivé, comme pour les autres impression­nistes, que l’on dise que les toiles de Berthe Morisot n’étaient pas terminées, dit Sylvie Patr y. « Cette oscillatio­n entre le fini et le non-fini est une décision de l’artiste. C’est l’artiste qui décide quand il s’arrête. »

La fin de l’oeuvre de cette artiste que l’on disait profondéme­nt nostalgiqu­e sera marquée par le symbolisme. Certaines toiles peuvent même se rapprocher du Nor végien Edvard Munch, dit Sylvie Patr y. Chez les femmes, Berthe Morisot fera école. Après elle, on trouve Mar y Cassatt, parrainée par Degas, ainsi que Louise Breslau. Une Américaine et une Allemande qui s’épanouiron­t en France. Berthe Morisot, elle, disait n’avoir eu pour seule ambition que de « fixer quelque chose de ce qui passe, oh ! quelque chose, la moindre des choses, un sourire, une fleur, un fruit, une branche d’arbre […]. Cette ambition-là est encore démesurée ».

 ?? MUSÉE MARMOTTAN- MONET ?? Eugène Manet à l’île de Wight, 1875, huile sur toile de Berthe Morisot
MUSÉE MARMOTTAN- MONET Eugène Manet à l’île de Wight, 1875, huile sur toile de Berthe Morisot
 ?? JOËL SAGET AFP ?? Berthe Morisot par Edouard Manet
JOËL SAGET AFP Berthe Morisot par Edouard Manet

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