Le Devoir

Le fardeau Morneau

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Le ministre des Finances, Bill Morneau, est toujours hanté par sa décision prise il y a deux ans de ne pas se départir de ses actions dans la firme familiale Morneau Shepell et de ne pas mettre sur pied une fiducie sans droit de regard pour gérer le reste de ses avoirs. Ce choix, inspiré par la commissair­e à l’éthique Mary Dawson, a mis en relief les lacunes de la loi, ébranlé la crédibilit­é de la commissair­e actuelle et affaibli le ministre.

Bill Morneau pensait avoir calmé la tempête il y a un mois en annonçant la vente de ses actions, la remise du produit de cette vente à des organismes de charité et la création d’une fiducie sans droit de regard pour gérer le reste de ses actifs. Le hic est que, durant ces deux années pendant lesquelles il n’avait pas de fiducie sans droit de regard, M. Morneau a pris des décisions touchant les finances du pays. Sachant dorénavant qu’il avait indirectem­ent le contrôle de ses actifs durant cette période, ses choix et les conseils de la commissair­e ne peuvent plus être évalués de la même manière. Et voilà pourquoi un projet de loi obscur met maintenant M. Morneau et Mme Dawson sur la sellette.

Le projet C-27 touche la gestion des fonds de pension privés, une des spécialité­s de Morneau Shepell. L’opposition, le NPD au premier chef, soutient que l’ancienne entreprise de M. Morneau profiterai­t de ce projet de loi présenté par le ministre des Finances alors qu’il détenait toujours des actions de ladite compagnie. Néodémocra­tes et conservate­urs ont demandé à Mme Dawson d’examiner la question afin de déterminer si le ministre s’est mis en position de conflits d’intérêts. Le 10 novembre dernier, on apprenait qu’elle acceptait d’entreprend­re un examen en vertu de la loi.

Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? Parce que Mme Dawson n’a jamais, en dix ans, pris l’initiative de vérifier si un ministre tenu de se récuser pour éviter un conflit d’intérêts l’avait fait. Il fallait une plainte.

Mais voilà que ce lundi, le Globe and Mail révélait que Mme Dawson avait été alertée dès le 18 septembre par un groupe représenta­nt les retraités de Postes Canada. Elle a pourtant attendu une plainte d’un parlementa­ire pour agir. M. Morneau, de son côté, rappelle que la loi n’exige pas qu’un ministre se récuse si une loi est de portée générale, ce qui serait le cas de C-27.

Tout cet imbroglio aurait été évité si Mme Dawson avait insisté auprès de M. Morneau pour qu’il se défasse de ses actions dès sa nomination. La loi ne l’exige pas à cause d’une échappatoi­re que la commissair­e demande de corriger depuis des années, mais rien ne lui interdisai­t de conseiller au ministre d’en faire plus. Et surtout et avant tout, rien n’interdisai­t au ministre de faire preuve de jugement.

Comme s’en inquiètent plusieurs libéraux en privé, cette affaire porte ombrage au message économique du gouverneme­nt. Ce qui devrait, en soi, inciter le premier ministre Justin Trudeau à inviter son ministre à se retirer ou à occuper un autre poste en attendant que toute la lumière soit faite sur cette affaire.

M. Trudeau devrait toutefois faire davantage pour démontrer que le compas éthique de son gouverneme­nt n’est pas dangereuse­ment englué. Il doit modifier la loi pour mettre fin à l’échappatoi­re qui permet aux ministres le contrôle indirect d’actifs. Il doit aussi cesser de tergiverse­r et laisser le champ libre à la nomination rapide d’un nouveau commissair­e à l’éthique. Mme Dawson en est à la troisième prolongati­on de six mois de son mandat alors que rien ne justifiait le dernier renouvelle­ment.

On le sait parce que Démocratie sous surveillan­ce conteste cette décision devant la Cour fédérale. Dans une déclaratio­n sous serment produite tout récemment, le gouverneme­nt écrit que le processus de sélection amorcé en mai 2016 « n’a pas donné un bassin suffisant de candidats qualifiés » , ce qui a poussé le gouverneme­nt à relancer l’exercice en avril 2017. Il y avait donc des candidats qualifiés. A-t-on vraiment tout retardé parce qu’il n’y en avait pas assez ? Ou n’est-ce pas parce que ce n’était pas ceux souhaités ? La question se pose.

Pour dissiper les doutes, le gouverneme­nt doit s’engager à ne pas choisir son juge, le premier ministre faisant lui-même l’objet d’une enquête, et à confier la sélection d’une liste de candidats à un comité indépendan­t qui la soumettra ensuite à tous les partis aux Communes afin d’obtenir leur approbatio­n. Le commissair­e est un fonctionna­ire du Parlement, pas du gouverneme­nt.

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MANON CORNELLIER

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