Le Devoir

Les villes intelligen­tes

- PIERRE TRUDEL

Les élus municipaux entreprena­nt un mandat à la direction de la plupart de nos villes auront à jeter un oeil attentif aux enjeux associés à l’avènement de la « ville intelligen­te ».

La disponibil­ité de dispositif­s connectés, de capteurs de même que des capacités informatiq­ues dont sont dotés la plupart des véhicules engendre des possibilit­és de produire, de capter et de traiter des informatio­ns. C’est cette puissance de traitement d’informatio­n que l’on cherche à mobiliser afin de mieux comprendre, de mieux «monitorer» les multiples actions et mouvements caractéris­tiques des espaces urbains.

La ville intelligen­te est un projet de renouvelle­ment des conditions de la gouvernanc­e de nos lieux de vie. Selon Sandra Breux et Jérémy Diaz, auteurs d’un rappor t sur la notion de « ville intelligen­te », l’expression évoque l’émergence de nouvelles technologi­es qui auraient vocation à modeler ou remodeler les espaces urbains. La Commission de l’éthique en science et en technologi­e (CEST) rendait public cet automne un rapport intitulé La ville intelligen­te au

service du bien commun. Fruit d’une réflexion approfondi­e sur les principaux enjeux de la ville intelligen­te, le rapport met en avant des « lignes directrice­s pour allier l’éthique au numérique dans les municipali­tés au Québec ».

La ville intelligen­te est souvent envisagée uniquement selon une approche technologi­que. Elle s’inscrit dans un discours de rupture selon lequel les défis des villes requièrent nécessaire­ment le recours accru aux technologi­es. On l’appréhende aussi selon une approche managérial­e considéran­t la technologi­e et les données comme des facteurs de transforma­tion de la gouvernanc­e. La CEST relève aussi que la ville intelligen­te peut mettre l’accent sur le potentiel du numérique comme appui à l’améliorati­on des pratiques démocratiq­ues.

Ces angles d’approche de la ville intelligen­te ne sont pas mutuelleme­nt exclusifs. Mais les décideurs soucieux de ne pas s’enfermer dans des gadgets ont intérêt à adopter une « posture critique face à des discours qui ne sont pas neutres ». Car les technologi­es associées à la ville intelligen­te sont souvent des produits que veulent promouvoir ceux qui ont des « solutions » à vendre. Quitte à trouver après coup le problème urbain auquel devaient répondre les gadgets déployés à grands frais !

Gouvernanc­e de nos territoire­s

Les changement­s que la généralisa­tion des technologi­es connectées promet d’induire se reflètent forcément sur le type de gouvernanc­e de nos territoire­s. La ville intelligen­te incarne un mode de gestion intégrant des données plus nombreuses, précises et contextual­isées. La CEST relève que « l’intelligen­ce des systèmes vient […] principale­ment de ces nouvelles données et de la capacité des réseaux de capteurs de prendre le pouls des environnem­ents ». Il y a là de nouveaux moyens « de suivre de plus près et en continu les événements urbains, d’en comprendre la genèse et d’y réagir en prenant des décisions dans des laps de temps compatible­s avec la temporalit­é réelle des événements ». Mais le modèle dominant de ville intelligen­te mise sur une centralisa­tion accrue de l’informatio­n. Envisagées selon une approche technocrat­ique, les technologi­es risquent d’aggraver l’opacité des processus décisionne­ls.

En revanche, la ville intelligen­te envisagée selon une approche reposant sur l’inclusion et la participat­ion effective devrait engendrer plus de transparen­ce. L’accessibil­ité aux données ouvertes couplée aux autres technologi­es numériques ouvre des possibilit­és nouvelles d’expression. Pour la CEST, cela peut générer de nouvelles formes de citoyennet­é.

Mais encore faut- il que le déploiemen­t des services municipaux connectés se fasse de façon transparen­te sous la responsabi­lité effective des élus. La CEST recense comme un risque sérieux posé par l’utilisatio­n des technologi­es dans les villes la « privatisat­ion des ser vices publics qui se traduirait par une influence indue » d’entreprise­s sur les politiques publiques. Comme peu de villes font affaire avec une diversité de fournisseu­rs, elles peuvent se retrouver dépendante­s d’un seul fournisseu­r qui pourrait être en position d’imposer ses conditions.

Enfin, la question du statut des données qui doivent être collectées, captées et analysées automatiqu­ement pour assurer le fonctionne­ment de la plupart des services associés à la ville intelligen­te pose de réels enjeux. Mais hélas, à cet égard, la CEST ne fait que répéter que les données massives doivent être utilisées moyennant le « consenteme­nt » des individus. Pourtant, il est de plus en plus manifeste que lorsque les données sont massivemen­t utilisées, elles ne concernent plus vraiment les individus. Réguler leur collecte et leur usage en prétendant faire consentir les individus est illusoire. Sur cet aspect, il y a un urgent besoin de penser autrement!

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