Le Devoir

De l’importance de se garder une marge de manoeuvre

- DOMINIQUE LAPOINTE Analyste principal, Institut des finances publiques et de la démocratie à l’Université d’Ottawa

C’est ce mardi que le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, présente la traditionn­elle mise à jour du Plan économique du Québec. On retrouvera au menu les toutes dernières projection­s fiscales ainsi que diverses annonces de dépenses supplément­aires et de congés fiscaux. Grâce à une économie qui « surperform­e », le ministre devrait même annoncer sans surprise un surplus beaucoup plus grand que prévu au Budget de mars dernier : au minimum 2,5 milliards de dollars de plus ! Que faire avec cet argent ? Un heureux dilemme pour le gouverneme­nt.

Évidemment, des besoins criants se font sentir dans plusieurs secteurs (santé et éducation, entre autres). De plus, tous et toutes apprécient une baisse d’impôt. Toutefois, avant de dépenser l’entièreté de ses rentrées d’argent supplément­aires, le gouverneme­nt devrait aussi évaluer la nature cyclique des surplus actuels, ainsi que le niveau d’endettemen­t des Québécois à long terme.

Tout d’abord, il est important de distinguer la partie du surplus actuel attribuabl­e à la performanc­e spectacula­ire de l’économie québécoise cette année, l’aspect cyclique, de la partie du surplus qui dépend de la gestion des revenus et des dépenses dans le cours « normal » des opérations, l’aspect structurel.

La croissance économique en juillet était à son plus haut niveau depuis 2001, et le taux de chômage a atteint ce même mois son plus bas niveau depuis au moins 1976. Une partie des revenus supplément­aires qui seront déclarés mardi provient certaineme­nt d’une telle embellie. Par contre, cette cadence n’est pas susceptibl­e d’être soutenable, entre autres en raison du vieillisse­ment de la population, phénomène particuliè­rement aigu au Québec.

S’il s’avérait qu’une proportion importante du surplus actuel soit cyclique et que le gouverneme­nt décidait de dépenser de manière permanente une telle somme, soit en baisse d’impôts ou en dépenses supplément­aires, le Québec pourrait se placer dans une position de manque à gagner structurel lorsque surviendra la prochaine récession. Et celle-ci viendra. Il faudrait alors remonter les impôts, ou compresser la croissance des dépenses… encore une fois.

Dette publique

Ensuite, dans un climat généraleme­nt positif, il est important de ne pas oublier le poids de la dette publique. En ce qui a trait aux déficits cumulés, la dette du Québec était toujours l’an dernier la plus lourde par rapport à la taille de son économie de toutes les provinces canadienne­s.

Soit, la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke estime que le maintien des politiques budgétaire­s actuelles permettrai­t au Québec de respecter ses propres engagement­s en matière de réduction de la dette par rapport au PIB d’ici 2025-2026. Cependant, si le gouverneme­nt décidait de se garder une marge de manoeuvre supplément­aire en augmentant, par exemple, la provision pour éventualit­é de 100 millions de dollars présenteme­nt prévue dans le budget et que l’économie continuait de bien se porter, le poids de la dette du Québec diminuerai­t simplement plus vite que prévu. Ce ne serait pas une mauvaise chose en soi.

Soyons clairs, la situation fiscale du Québec est positive ; « soutenable » à long terme selon le directeur parlementa­ire du budget du Canada. La situation de M. Leitão fait peut- être même l’envie de quelques-uns de ses collègues ministres des Finances provinciau­x. La prudence est cependant de mise avant de dépenser des sommes importante­s. Il ne faudrait pas se retrouver coincés avec un manque à gagner par la suite. Comme dans beaucoup de choses dans la vie, l’état de la conjonctur­e économique québécoise ne pourrait être que temporaire…

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE La situation du ministre des Finances, Carlos Leitão, fait peut-être l’envie de quelques-uns de ses homologues provinciau­x.

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