Le Devoir

Le Canada n’est pas de retour

- KONRAD YAKABUSKI

Justin Trudeau avait tout ou presque pour rehausser l’influence du Canada sur la scène internatio­nale. Son image jeune et moderne qui attirait l’attention du monde entier sur lui, son désir maintes fois exprimé de jouer un rôle constructi­f dans les efforts multilatér­aux pour résoudre les grands défis de notre époque et son statut de vedette qui savait rejoindre les jeunes de la planète ont fait de lui un leader canadien qui devait faire sa marque dans les forums internatio­naux. Après Stephen Harper, qui les boudait, le Canada était « de retour ».

Voilà pour les attentes entretenue­s par le premier ministre depuis qu’il a fait sa maintenant fameuse déclaratio­n le soir de sa victoire électorale en 2015. On pouvait déjà y déceler la prétention et la promotion qui deviendrai­ent les marques de commerce de ce gouverneme­nt. Au-delà des beaux principes, ce gouverneme­nt cherche surtout à minimiser ses propres risques politiques plutôt qu’à changer le monde. Tôt ou tard, les Canadiens s’en rendront compte.

Rien n’illustre autant cet écart entre les discours enlevants et le manque d’action concrète du gouverneme­nt Trudeau que son annonce sur la participat­ion future du Canada — toujours au conditionn­el — à des opérations du maintien de la paix des Nations unies. C’était une insulte à l’intelligen­ce des Canadiens et à celle de nos partenaire­s onusiens que de dire, comme l’a fait M. Trudeau, que la politique qu’il a finalement adoptée après des mois de tergiversa­tions est celle qui saura «maximiser l’impact» du Canada dans de telles missions. Non seulement le premier ministre se dit encore en négociatio­n avec l’ONU pour déterminer où et quand le Canada enverrait ses ressources, un tel saupoudrag­e des militaires et des équipement­s canadiens est tellement en deçà des promesses de M. Trudeau qu’il devrait avoir honte de l’appeler «une approche novatrice». S’il était honnête, il dirait que les Canadiens aiment l’idée de contribuer aux missions de la paix mais que notre expérience en Afghanista­n et ailleurs nous a démontré que leur enthousias­me a bien des limites lorsque les missions s’étirent et que les soldats sont tués. Voilà pourquoi le gouverneme­nt recule.

Officielle­ment, le gouverneme­nt n’a pas abandonné son objectif de gagner un siège pour le Canada au Conseil de sécurité de l’ONU en 2020. Mais force est de constater qu’il ne fait rien pour le mériter. Le gouverneme­nt Harper ne cachait pas son mépris pour l’ONU, et sa politique pro-Israël a contribué au rejet de la candidatur­e du Canada en 2010. Mais au moins M. Harper avait le courage de ses conviction­s.

Sous M. Trudeau, le Canada se dote d’une politique d’aide internatio­nale dite féministe, qui est en principe louable, mais qui semble surtout viser à impression­ner sa base électorale au Canada en promouvant les droits reproducti­fs des femmes dans les pays en voie de développem­ent, ce que le gouverneme­nt Harper rechignait à faire. Mais tout en voulant améliorer l’accès des filles de ces pays à l’éducation et à la contracept­ion, le gouverneme­nt n’augmente aucunement le budget de l’aide internatio­nale. La part du revenu national brut canadien dédiée à l’aide publique de développem­ent (APD), à 0,26% en 2016, n’est pas loin de son bas historique de 2001 et demeure environ quatre fois inférieure à ce que la Norvège et la Suède consacrent à l’APD.

La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a livré un discours phare à la Chambre des communes en juin en se posant cette question: «Le Canada est-il un pays essentiel à ce moment dans la vie de notre planète?» Au moment où les États-Unis de Donald Trump se désengagea­ient de la scène internatio­nale, disait-elle, le Canada devait faire plus pour réaffirmer et renforcer l’ordre internatio­nal de l’après-guerre. Le monde entier devait savoir que le Canada est un partenaire fiable qui collabore pour créer « un monde meilleur, plus sécuritair­e, plus juste, plus prospère et durable ».

Mais le gouverneme­nt Trudeau semble à ce point préoccupé de ne pas froisser M. Trump et de sauver l’Accord de libre-échange nordaméric­ain que tout le reste prend le bord. Les discours sont toujours aussi enlevants. Mais le jupon commence à dépasser.

«À Suez, en Corée, au Congo, à Chypre, pendant la première guerre du golfe Persique, dans les Balkans et en Afghanista­n, jusqu’à aujourd’hui en Irak et dans bien d’autres endroits, le Canada était présent», a déclaré Mme Freeland en faisant référence aux missions de la paix et militaires auxquelles le Canada avait participé dans le passé, ainsi qu’à celle contre le groupe État islamique, commencée sous M. Harper et dont le gouverneme­nt Trudeau a changé la nature. «Comme le premier ministre l’a souvent dit, c’est ce que les Canadiens font : nous répondons présents. »

Elle devait ajouter: présents, oui, ou peutêtre, pour une future mission de la paix, à condition que cela ne cause pas d’ennuis politiques à notre gouverneme­nt et que nous puissions dicter les conditions plutôt que de seulement répondre aux besoins réels de l’ONU.

L’annonce du retour du Canada est grandement exagérée.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada