Trump risque de faire perdre des entreprises au Québec, disent des gens d’affaires
Le Québec vit une sorte d’âge d’or en matière d’attractivité auprès des entreprises, âge d’or qui pourrait toutefois être compromis par le nouveau gouvernement américain, préviennent des gens d’affaires.
Hubert Bolduc a l’habitude de dire aux compagnies étrangères qu’il veut attirer à Montréal que les Européens peuvent y trouver une façon de prendre pied en Amérique du Nord grâce à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), mais avec un meilleur confort de vie, alors que les Américains se donnent ainsi, grâce au nouvel Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, accès au marché européen, mais sans le décalage horaire. Une bonne partie de cet argument de vente est toutefois aujourd’hui menacée par le discours protectionniste du président américain, Donald Trump, et ses menaces de jeter l’ALENA à la poubelle, a admis le présidentdirecteur général de Montréal International en entrevue au Devoir en marge d’une conférence organisée par le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) mardi. «Ce serait mentir que de dire que ça n’aurait pas d’impact. […] On est tous là à regarder ce qu’il fait, à suivre ses tweets et à espérer qu’on va s’en sauver. »
L’appel des États-Unis
Ce n’est pas la seule décision du nouveau gouvernement américain qui est susceptible d’avoir un impact sur les succès du Québec auprès des investisseurs étrangers, ont constaté les représentants du monde des affaires qui partageaient la scène avec Hubert Bolduc. Ce que toutes les entreprises recherchent de nos jours, c’est l’accès à un bassin de main-d’oeuvre abondante et qualifiée, mais aussi la possibilité de réduire autant que possible ses coûts de fonctionnement, a souligné François Boulanger, vice-président exécutif et chef de la direction financière de la multinationale montréalaise des services informatiques CGI. Actuellement, dit-il, le Québec et le Canada profitent de l’avantage que leur confèrent une fiscalité des entreprises compétitive, particulièrement par rapport au voisin américain, un taux de change relativement bas et souvent des crédits de taxes des gouvernements. «Mais si les ÉtatsUnis vont de l’avant avec leur projet de baisse de l’impôt des entreprises, avec le bassin de talents que leur confère une population de 300 millions d’habitants, ils vont devenir des
concurrents très sérieux. […] En informatique, les emplois peuvent se déplacer très vite. On peut passer de Montréal à l’Inde du jour au lendemain. Il faut être très vigilant. »
Par contre, la lourdeur des règles américaines à l’égard des travailleurs étrangers, qui tourne même, avec le gouvernement Trump, presque à l’hostilité, risque de grandement desservir l’économie américaine à l’heure où les industries cherchent, au contraire, à attirer le plus de talents possible de partout dans le monde. De ce point de vue, le Québec et le Canada se sont donné un gros avantage sur leur voisin en suivant le chemin inverse et en améliorant sans cesse la convivialité et l’efficacité de leurs règles à l’égard des travailleurs étrangers.
Un âge d’or menacé
La menace ne vient pas seulement des ÉtatsUnis, a noté Francis Baillet, vice-président aux affaires corporatives chez le géant Ubisoft. Outre la qualité de sa main-d’oeuvre et sa qualité de vie, l’un des secrets de l’immense succès du Québec dans le domaine du jeu vidéo a été ses généreux crédits d’impôt accordés à cette industrie. Or son exemple est en voie d’être copié un peu partout, non seulement par l’Ontario, la Colombie-Britannique et le Manitoba, mais aussi par la France, le Royaume-Uni et l’Italie.
À ce chapitre, Hubert Bolduc estime que ceux qui jugent la valeur de ces politiques industrielles à l’aune seulement des impôts finalement payés par les entreprises regardent la réalité à travers une bien «petite fenêtre». Reprenant à son compte la célèbre citation de l’ancien premier ministre et ministre des Finances québécois Jacques Parizeau, qu’une «compagnie qui paye des impôts devrait changer de comptable», il a souligné que «les retombées économiques et fiscales dépendent beaucoup plus des emplois créés au Québec que ces seuls impôts versés par les compagnies».
De façon générale, la conférence du CORIM, à laquelle participait aussi le vice-président et chef de la direction financière de Bombardier, John Di Bert, a surtout été l’occasion de vanter le Québec, pour la qualité et l’abondance de sa main-d’oeuvre, ses politiques industrielles visionnaires, sa fiscalité, sa qualité de vie ou encore son accès aux principaux marchés.
Invité à venir prononcer le mot de la fin, le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, a mis en garde contre le danger que les succès du Québec ne mènent à une certaine complaisance. Il dépend en effet du bon fonctionnement de l’ALENA et de l’AECG, a-t-il fait valoir. Ses taux d’emplois records et le vieillissement de la population ne manqueront pas de réduire le bassin de maind’oeuvre tout en augmentant le coût. Le dollar canadien finira aussi par remonter avec le prix des matières premières.
Tout cela, dit-il, ne fait que confirmer l’importance stratégique des programmes de subventions et de crédits d’impôt existants. Mais cela devrait aussi amener à en envisager de nouveaux dans d’autres secteurs d’avenir, comme l’intelligence artificielle.