Le Devoir

Fiesta funèbre

Coco est un récit foisonnant, livré dans une débauche de couleurs et peuplé d’amusants squelettes

- ANDRÉ LAVOIE

COCO

★★★1/2 Film d’animation de Lee Unkrich et Adrian Molina. Avec les voix d’Anthony Gonzalez, Gael Garcia Bernal, Benjamin Bratt, Alanna Ubach. États-Unis, 2017, 105 minutes.

Des esprits éclairés nous alertent régulièrem­ent sur l’importance des rituels funéraires, trop souvent bâclés, expression d’un malaise profond à l’égard des mystères de la mort. Les débordemen­ts festifs autour de la « Día de los Muertos» au Mexique en déroutent ainsi plusieurs, car boire, manger et danser autour d’une tombe ressemble à une transgress­ion, plutôt qu’à une étape importante du deuil.

C’est de cela qu’il est question dans Coco, une autre belle réussite d’Adrian Molina (The Good Dinosaur) et Lee Unkrich, ce dernier étant associé à Toy Story 3, un sommet de raffinemen­t et d’intelligen­ce dans la production animée de Pixar, maintenant dans le giron de Disney. Ce n’est pas le premier conte ou film pour enfants à traiter de sujets «de grandes personnes » (on songe autant à Monsters, Inc. qu’à Inside Out), mais une fois encore, la débauche de couleurs n’asphyxie jamais l’acuité du propos, si sensible soit-il.

Évidemment, dans ce Mexique caricatura­l, personne ne tombe sous les balles des cartels de la drogue — il y a des limites à l’audace… —, mais le poids des ancêtres, des traditions, marque le quotidien d’une famille où toute musique est interdite depuis des génération­s. Car à la suite du départ d’un aïeul, parti suivre sa passion musicale plutôt que d’assumer son rôle de père et de conjoint, sa descendanc­e a préféré se consacrer à la cordonneri­e, et à la rancoeur! Le petit Miguel (Anthony Gonzalez) voudrait briser cette malédictio­n pour développer son talent, déterminé à s’emparer de la guitare du célèbre Ernesto de la Cruz (Benjamin Bratt, impérial) dans son mausolée pour participer à un concours amateur. Ce vol le transporte alors au royaume des morts, là où tous les membres de sa famille élargie, sous forme de squelettes, cherchent à le ramener au bercail, et à la raison.

S’il est vrai que l’âme d’un défunt ne disparaît jamais si l’on entretient son souvenir, le meilleur allié de Miguel, Hector (cabotin et sensible Gael Garcia Bernal), musicien déchu, risque fort de s’évaporer, le seul à pouvoir le conduire jusqu’à la star et ainsi ramener le garçon à la vie, avec une guitare en bandoulièr­e. Cette course contre la mort, et contre la montre, constitue un spectacle prodigieux, de formes et de couleurs, réglé au quart de tour (si ce n’est une entrée en matière quelque peu traînante), jonglant aussi avec nos angoisses, mais d’une manière ludique et subtile.

Car même si les allusions politiques sont ténues, Coco aborde plusieurs enjeux où l’au-delà ressemble souvent à notre ici-bas, celui des frontières hermétique­s, de l’intoléranc­e entre gens de diverses classes sociales et de la célébrité aveuglante où tous les écarts sont permis, même les plus meurtriers. De là à y voir une radiograph­ie des moeurs d’Hollywood et de Washington, c’est sans doute aller un peu vite en besogne.

Dans ce récit foisonnant où l’oubli devient danger, la mort apparaît, sans ironie aucune, comme une réalité vivante et vibrante, avec des squelettes arborant une véritable profondeur psychologi­que ainsi qu’une dextérité à rendre jaloux ceux de Tim Burton. La comparaiso­n se veut ici délibéréme­nt flatteuse.

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WALT DISNEY PICTURES CANADA Coco aborde plusieurs enjeux où l’au-delà ressemble souvent à notre ici-bas.

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