Les erreurs manifestes de la chancelière
Àl’université, la recherche de la vérité et la rigueur intellectuelle sont le fondement du travail quotidien, de l’enseignement et de la recherche scientifique. Or le texte publié par la chancelière de l’Université de Montréal (UdeM), Mme Louise Roy (« Pourquoi moderniser la charte de l’Université de Montréal », Le Devoir, 18 novembre 2017), au sujet de la réforme de la charte contient de nombreuses erreurs, inexactitudes et omissions. Cette lettre interpelle le Syndicat général des professeures et professeurs de l’Université de Montréal (SGPUM). Nous nous devons de rétablir les faits.
Mme Roy, en tant que présidente du conseil d’administration, est l’initiatrice du projet de loi 234 déposé à l’Assemblée nationale le 15 novembre dernier. Ce projet est dénoncé vigoureusement par les représentants de l’ensemble des professeurs d’université du Québec et du Canada.
Dans son texte, Mme Roy fait des erreurs. Elle évoque notamment «la place prépondérante des professeurs au sein [des] instances », alors que cela est manifestement faux dans deux des trois instances de l’université: au conseil d’administration de l’Université de Montréal, il y a seulement quatre professeurs parmi les 30 personnes qui participent aux délibérations; à la Commission des études, il y a seulement deux professeurs alors que 37 cadres, officiers et directeurs participent aux délibérations ; à l’Assemblée universitaire, la moitié des membres sont des professeurs. À noter que la réforme ne change pas de façon significative cette situation.
Mme Roy suppose que les professeurs qui étaient présents à l’Assemblée universitaire auraient appuyé des propositions de réforme. Or, la présence en assemblée ne signifie pas l’adhésion aux propositions, d’autant plus que le vote a toujours été secret. Elle confond la liberté d’enseignement, une condition de travail collective, avec la liberté d’expression, un droit individuel prévu à la Charte canadienne. Elle confond l’autonomie de gestion et l’indépendance intellectuelle de l’Université, la capacité à mener librement les activités d’enseignement et de recherche.
Gouvernance autoritaire
Mme Roy se trompe aussi lorsqu’elle affirme que la réforme de la charte de l’Université de Montréal est un projet moderne, démocratique et respectueux de la collégialité universitaire. En réalité, le projet de loi 234 fait le contraire et consacre l’établissement d’une chaîne de commandement verticale, centralisatrice et autoritaire.
Auparavant, les doyens représentaient leurs assemblées de faculté. Désormais, les doyens deviennent des mandataires du recteur, tandis que ce dernier recevra ses propres mandats du conseil d’administration. Où est passée la démocratie universitaire? C’est une vision de l’université où l’administration dirige l’établissement plutôt que de soutenir ceux qui incarnent sa mission. La chancelière affirme même que le jugement par les pairs est un mécanisme désuet. Où est passée la collégialité ?
La chancelière affirme en outre que la révision de la charte aurait quelque chose à voir avec les plaintes actuelles en matière de harcèlement sexuel. Quand un enjeu social prioritaire devient un mobile politique pour justifier a posteriori un projet de charte autoritaire, nous devons le dénoncer avec vigueur. C’est une récupération tout à fait indigne de la fonction de chancelière, d’autant plus qu’à aucun moment le projet de charte n’a été présenté en ces termes à la communauté universitaire.
Mme Roy affirme à ce sujet «qu’actuellement, à l’UdeM, ce sont les enseignants qui jugent les plaintes pour harcèlement contre des enseignants». Ce n’est pas conforme aux règles en vigueur à l’Université de Montréal. Il faut savoir que l’UdeM s’est dotée d’une Politique contre le harcèlement dès 2003 et d’un comité sur le harcèlement comprenant jusqu’à 14 membres de diverses provenances: membres de la direction, étudiants, chargés de cours, professeurs, représentants syndicaux, etc.
Ce comité sur le harcèlement a la responsabilité d’assurer le respect de la politique. Par la suite, les plaintes peuvent être déférées par le recteur devant un comité de discipline, où siège toujours un officier de l’université. Mme Roy amalgame le traitement des plaintes pour harcèlement sexuel avec le processus de sanction disciplinaire.
Discréditer
Par son affirmation ci-dessus, Mme Roy tente également de discréditer les professeurs alors qu’elle-même et le conseil ont pourtant entériné le règlement disciplinaire en vigueur! Car ce que Mme Roy ne dit pas au sujet du comité de discipline, c’est que la Cour supérieure du Québec a statué que le conseil qu’elle préside a adopté illégalement une modification des statuts de l’UdeM en février 2013.
Dans un jugement rendu le 22 avril 2015, la Cour supérieure a d’ailleurs qualifié la révocation des membres du comité de discipline d’«abus de pouvoir» et elle infirmait trois décisions du conseil d’administration présidé par la chancelière. Le même conseil a par la suite renoncé à porter ce jugement devant la Cour d’appel du Québec. Et à la même époque, en septembre 2015, une entente entre le syndicat des professeurs (SGPUM) et le vice-recteur aux ressources humaines, entente modifiant les statuts au sujet du comité de discipline, a été adoptée par le conseil d’administration de l’Université.
En proposant sa réforme de la charte, Mme Roy demande donc au gouvernement du Québec de lui donner des pouvoirs auxquels elle avait déjà renoncé par la voie de la négociation et à la suite du jugement de la Cour supérieure. En agissant ainsi, Mme Roy et le conseil d’administration de l’UdeM incitent le législateur à contourner la règle de droit, sans déclarer la situation objective qui est en jeu et sans faire connaître les conditions de travail des professeurs qui sont illégalement touchées par sa demande de modification à la charte de l’UdeM. Mme Roy sait-elle que ce projet de loi est contesté juridiquement, par voie de grief, depuis mars 2017? Si elle n’est pas au courant, nous l’invitons à lire le grief afin qu’elle comprenne correctement les impacts des décisions qu’elle soutient publiquement.
La décision de la chancelière de ne pas répondre, depuis vingt mois, aux lettres des représentants légaux des 1350 professeurs de l’université est peu respectueuse de sa communauté. Le législateur, dans sa fonction d’établir le texte de loi qui fonde l’Université de Montréal, ne doit pas être induit en erreur par des affirmations fausses, erronées et incomplètes des dirigeants actuels.