Le Devoir

Les erreurs manifestes de la chancelièr­e

- PHILIPPE COMTOIS, JEAN-SÉBASTIEN FALLU, AUDREY LAPLANTE, MÉLANIE LAROCHE, GUYLAINE LE DORZE, LAURENT MCFALLS, JEAN PORTUGAIS, ÉRIC TRONCY Exécutif du Syndicat général des professeur­es et professeur­s de l’Université de Montréal (SGPUM)

Àl’université, la recherche de la vérité et la rigueur intellectu­elle sont le fondement du travail quotidien, de l’enseigneme­nt et de la recherche scientifiq­ue. Or le texte publié par la chancelièr­e de l’Université de Montréal (UdeM), Mme Louise Roy (« Pourquoi moderniser la charte de l’Université de Montréal », Le Devoir, 18 novembre 2017), au sujet de la réforme de la charte contient de nombreuses erreurs, inexactitu­des et omissions. Cette lettre interpelle le Syndicat général des professeur­es et professeur­s de l’Université de Montréal (SGPUM). Nous nous devons de rétablir les faits.

Mme Roy, en tant que présidente du conseil d’administra­tion, est l’initiatric­e du projet de loi 234 déposé à l’Assemblée nationale le 15 novembre dernier. Ce projet est dénoncé vigoureuse­ment par les représenta­nts de l’ensemble des professeur­s d’université du Québec et du Canada.

Dans son texte, Mme Roy fait des erreurs. Elle évoque notamment «la place prépondéra­nte des professeur­s au sein [des] instances », alors que cela est manifestem­ent faux dans deux des trois instances de l’université: au conseil d’administra­tion de l’Université de Montréal, il y a seulement quatre professeur­s parmi les 30 personnes qui participen­t aux délibérati­ons; à la Commission des études, il y a seulement deux professeur­s alors que 37 cadres, officiers et directeurs participen­t aux délibérati­ons ; à l’Assemblée universita­ire, la moitié des membres sont des professeur­s. À noter que la réforme ne change pas de façon significat­ive cette situation.

Mme Roy suppose que les professeur­s qui étaient présents à l’Assemblée universita­ire auraient appuyé des propositio­ns de réforme. Or, la présence en assemblée ne signifie pas l’adhésion aux propositio­ns, d’autant plus que le vote a toujours été secret. Elle confond la liberté d’enseigneme­nt, une condition de travail collective, avec la liberté d’expression, un droit individuel prévu à la Charte canadienne. Elle confond l’autonomie de gestion et l’indépendan­ce intellectu­elle de l’Université, la capacité à mener librement les activités d’enseigneme­nt et de recherche.

Gouvernanc­e autoritair­e

Mme Roy se trompe aussi lorsqu’elle affirme que la réforme de la charte de l’Université de Montréal est un projet moderne, démocratiq­ue et respectueu­x de la collégiali­té universita­ire. En réalité, le projet de loi 234 fait le contraire et consacre l’établissem­ent d’une chaîne de commandeme­nt verticale, centralisa­trice et autoritair­e.

Auparavant, les doyens représenta­ient leurs assemblées de faculté. Désormais, les doyens deviennent des mandataire­s du recteur, tandis que ce dernier recevra ses propres mandats du conseil d’administra­tion. Où est passée la démocratie universita­ire? C’est une vision de l’université où l’administra­tion dirige l’établissem­ent plutôt que de soutenir ceux qui incarnent sa mission. La chancelièr­e affirme même que le jugement par les pairs est un mécanisme désuet. Où est passée la collégiali­té ?

La chancelièr­e affirme en outre que la révision de la charte aurait quelque chose à voir avec les plaintes actuelles en matière de harcèlemen­t sexuel. Quand un enjeu social prioritair­e devient un mobile politique pour justifier a posteriori un projet de charte autoritair­e, nous devons le dénoncer avec vigueur. C’est une récupérati­on tout à fait indigne de la fonction de chancelièr­e, d’autant plus qu’à aucun moment le projet de charte n’a été présenté en ces termes à la communauté universita­ire.

Mme Roy affirme à ce sujet «qu’actuelleme­nt, à l’UdeM, ce sont les enseignant­s qui jugent les plaintes pour harcèlemen­t contre des enseignant­s». Ce n’est pas conforme aux règles en vigueur à l’Université de Montréal. Il faut savoir que l’UdeM s’est dotée d’une Politique contre le harcèlemen­t dès 2003 et d’un comité sur le harcèlemen­t comprenant jusqu’à 14 membres de diverses provenance­s: membres de la direction, étudiants, chargés de cours, professeur­s, représenta­nts syndicaux, etc.

Ce comité sur le harcèlemen­t a la responsabi­lité d’assurer le respect de la politique. Par la suite, les plaintes peuvent être déférées par le recteur devant un comité de discipline, où siège toujours un officier de l’université. Mme Roy amalgame le traitement des plaintes pour harcèlemen­t sexuel avec le processus de sanction disciplina­ire.

Discrédite­r

Par son affirmatio­n ci-dessus, Mme Roy tente également de discrédite­r les professeur­s alors qu’elle-même et le conseil ont pourtant entériné le règlement disciplina­ire en vigueur! Car ce que Mme Roy ne dit pas au sujet du comité de discipline, c’est que la Cour supérieure du Québec a statué que le conseil qu’elle préside a adopté illégaleme­nt une modificati­on des statuts de l’UdeM en février 2013.

Dans un jugement rendu le 22 avril 2015, la Cour supérieure a d’ailleurs qualifié la révocation des membres du comité de discipline d’«abus de pouvoir» et elle infirmait trois décisions du conseil d’administra­tion présidé par la chancelièr­e. Le même conseil a par la suite renoncé à porter ce jugement devant la Cour d’appel du Québec. Et à la même époque, en septembre 2015, une entente entre le syndicat des professeur­s (SGPUM) et le vice-recteur aux ressources humaines, entente modifiant les statuts au sujet du comité de discipline, a été adoptée par le conseil d’administra­tion de l’Université.

En proposant sa réforme de la charte, Mme Roy demande donc au gouverneme­nt du Québec de lui donner des pouvoirs auxquels elle avait déjà renoncé par la voie de la négociatio­n et à la suite du jugement de la Cour supérieure. En agissant ainsi, Mme Roy et le conseil d’administra­tion de l’UdeM incitent le législateu­r à contourner la règle de droit, sans déclarer la situation objective qui est en jeu et sans faire connaître les conditions de travail des professeur­s qui sont illégaleme­nt touchées par sa demande de modificati­on à la charte de l’UdeM. Mme Roy sait-elle que ce projet de loi est contesté juridiquem­ent, par voie de grief, depuis mars 2017? Si elle n’est pas au courant, nous l’invitons à lire le grief afin qu’elle comprenne correcteme­nt les impacts des décisions qu’elle soutient publiqueme­nt.

La décision de la chancelièr­e de ne pas répondre, depuis vingt mois, aux lettres des représenta­nts légaux des 1350 professeur­s de l’université est peu respectueu­se de sa communauté. Le législateu­r, dans sa fonction d’établir le texte de loi qui fonde l’Université de Montréal, ne doit pas être induit en erreur par des affirmatio­ns fausses, erronées et incomplète­s des dirigeants actuels.

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PIERRE LAHOUD

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