Le Devoir

Boeing s’interroge sur l’absence d’investisse­urs privés dans la CSeries

La compagnie américaine s’est lancée dans un jeu de chiffres pour « voir jusqu’où peuvent aller les droits », selon Bombardier

- FRANÇOIS DESJARDINS

Boeing hausse le ton encore une fois dans le litige commercial qui l’oppose à Bombardier, que la compagnie américaine accuse d’avoir bénéficié d’appuis gouverneme­ntaux pour vendre des avions à Delta à un prix jugé trop bas.

Dans un document de 120 pages déposé au départemen­t américain du Commerce, le constructe­ur de Seattle s’interroge sur l’absence d’investisse­urs privés dans le programme CSeries en 2015, une période houleuse marquée par un niveau de liquidités insuffisan­t chez Bombardier.

«Le fait qu’aucun investisse­ur privé ne l’ait fait [investir dans Bombardier] est une preuve supplément­aire montrant que la Société en commandite Avions CSeries (SCACS) [ne justifiait pas une réception de capital] au moment de l’injection, et donc que le milliard de dollars américains constitue une subvention», a écrit Boeing mardi.

Cette référence concerne le versement d’un milliard $US par Investisse­ment Québec pour prendre une participat­ion minoritair­e de 49,5% dans le programme CSeries. Celui-ci a récemment été cédé à Airbus en échange de son expertise en matière de marketing et d’entretien.

Règles de l’OMC

Bombardier, le gouverneme­nt du Québec et le gouverneme­nt du Canada, qui a offert un prêt remboursab­le de 372,5 millions sur quatre ans, ont toujours affirmé que les divers appuis financiers respectent toutes les règles de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC).

Les détracteur­s de Boeing soulignent également que les avions CS100 qui se retrouvero­nt chez Delta à compter de 2018 se situent dans une catégorie de taille et de capacité que Boeing a décidé d’abandonner il y a un certain nombre d’années. Cependant, les modèles CS300 sont dans les mêmes platebande­s que les 737 MAX, a déjà indiqué Bombardier dans ses documents prévisionn­els.

Selon la compagnie américaine, le programme d’appareils CSeries, dont les dépassemen­ts de coût et les retards ont causé des maux de tête à Bombardier, était «extrêmemen­t risqué», présentait un historique peu reluisant jusque-là et souffrait de «faibles ventes».

«Simplement dit, les répondants ont été incapables de fournir des exemples d’investisse­urs privés — autres que des investisse­urs en capital-actions — prêts et aptes à investir 1 milliard $US ou plus dans une situation comme celleci », ajoute Boeing.

Droits de 300%

Boeing a déposé sa plainte au printemps

2017. Après enquête, le départemen­t américain du Commerce a annoncé en septembre et en octobre des droits compensate­urs et antidumpin­g totalisant 300%, ce qui pourrait avoir pour effet de quadrupler le prix des appareils destinés au marché des États-Unis.

Ces décisions sont préliminai­res. Des décisions définitive­s seront publiées le mois prochain par le départemen­t du Commerce. Le jugement définitif, issu de l’United States Internatio­nal Trade Commission, est attendu au début de 2018.

Le prix affiché d’un avion CS100, un appareil plus écoénergét­ique et silencieux, est de 79,5 millions $US. Le CS300 se situe à 89,5 millions $US. Les appareils CRJ, qui ont fait la renommée de Bombardier, se détaillent entre 40 et 50 millions $US.

En plus de Delta, Bombardier a reçu une importante commande d’Air Canada et a récemment fait état d’une grosse commande ferme d’une société européenne non nommée. Bombardier croit pouvoir en livrer près de 22 cette année et de 40 à 45 l’an prochain. Depuis trois mois, le cours de l’action a grimpé de 18 %.

Les parties prenantes au litige ont toutes déposé des commentair­es au cours des dernières semaines.

De son côté, Bombardier a profité d’une réplique déposée lundi pour critiquer les façons de faire de Boeing. «Insatisfai­te de l’imposition de droits compensate­urs de 220% déjà gonflés par des erreurs, voilà que Boeing en veut plus», a écrit la compagnie montréalai­se. «L’exposé de Boeing semble aborder l’enquête comme n’étant rien de plus qu’un jeu de chiffres, question de voir jusqu’où peuvent aller les droits.»

Bombardier et Airbus ont présenté la prise en charge du programme CSeries par le géant européen comme un partenaria­t qui va permettre d’accélérer la vente d’appareils. L’alliance mise sur la création d’une deuxième ligne d’assemblage pour la CSeries en Alabama, dans les installati­ons existantes d’Airbus. Cela permettrai­t d’affirmer que les avions CSeries ne seraient pas assujettis aux droits frontalier­s.

Invité à commenter cette ligne d’assemblage par le Globe and Mail en fin de semaine, le patron d’Airbus, Ton Enders, a dit que « nous sommes confiants, sinon nous n’aurions pas fait [le partenaria­t]». «Mais ce n’est pas comme 95%. Je pense que la probabilit­é est plus faible, mais nous avons de bonnes chances de réussir et nous allons essayer fort.»

Newspapers in French

Newspapers from Canada