Le Devoir

Et si l’UPAC avait raison ?

- RÉAL MÉNARD Ex-élu de la Chambre des communes et du conseil municipal de Montréal

Depuis quelques semaines, des voix nombreuses se sont élevées pour critiquer le travail de l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC) dans ce qu’il est désormais convenu d’appeler «l’affaire Guy Ouellette». Ces critiques me semblent injustifié­es à plusieurs égards. D’abord, je propose de distinguer le privilège parlementa­ire de Guy Ouellette et la façon dont l’UPAC s’acquitte de son mandat. Je conviens, à titre d’ex-parlementa­ire, qu’il aurait été souhaitabl­e que le commissair­e de l’UPAC informe le président de l’Assemblée nationale de l’arrestatio­n d’un de ses membres, ne serait-ce que par respect pour l’étanchéité qui doit exister entre le judiciaire et le législatif dans une société démocratiq­ue.

Mon malaise réside dans le fait que plusieurs journalist­es, chroniqueu­rs, élus et citoyens ont pris prétexte de l’arrestatio­n du député Guy Ouellette pour faire le procès de l’UPAC, sans égard à son bilan et à sa pertinence pour l’avenir.

Il faut se rappeler qu’en 2011, lorsque l’UPAC est mise sur pied, la morosité est grande au sein de nos institutio­ns démocratiq­ues, tant les liens qui existent entre l’industrie de la constructi­on, la collusion d’un groupe d’entreprene­urs et le dysfonctio­nnement des processus d’appels d’offres apparaissa­ient inextricab­les.

Qui plus est, le financemen­t des partis politiques québécois était considérab­lement contaminé par les grandes firmes de génie-conseil, lesquelles mettaient à rude épreuve l’idéal de militantis­me et l’héritage démocratiq­ue de GeorgesÉmi­le Lapalme, Jean Lesage et René Lévesque.

Pour mémoire, Radio-Canada avait diffusé une première compilatio­n en septembre 2011 des contributi­ons politiques des firmes de génie-conseil. On y apprenait que de 2001 à 2010, SNC, Dessau, Genivar, BPR et CIMA+ avaient versé 5 millions de dollars aux différente­s formations politiques, dont 62 % de ce montant au PLQ, 34 % au PQ et 4,2 % à L’ADQ.

Bilan

Rien ne justifie le discrédit que certains voudraient voir s’abattre sur l’UPAC, qui est une institutio­n résiliente qui a bien servi la société québécoise.

L’UPAC a un parcours sans fautes, contrairem­ent au SPVM où le directeur Pichet a relevé de ses fonctions son bras droit, Imad Sawaya, ou encore la SQ, qui est en plein procès impliquant un ancien directeur général, Richard Deschênes.

Le bilan de l’UPAC est plus qu’honorable avec l’arrestatio­n d’au moins 155 personnes dans le cadre d’enquêtes d’envergure, tels les projets Honorer, Fronde, Joung et Lierre qui ont permis de démanteler des réseaux importants de criminalit­é où sévissaien­t la fraude, la corruption, l’abus de confiance et l’usage de faux documents.

J’ai peine à penser que les Québécois n’ont pas été reconnaiss­ants à l’endroit du travail de l’UPAC, lorsque les Michael Applebaum, Frank Zampino, Bernard Trépanier, Marc Yvan Côté, Nathalie Normandeau et plusieurs autres ont été arrêtés, et dans certains cas condamnés.

Le législateu­r, lorsqu’il a adopté le projet de loi 15 concernant la lutte contre la corruption en 2011, a balisé le mandat et l’autonomie de l’Unité permanente anticorrup­tion. Le mandat du commissair­e était d’assurer la coordinati­on des actions de prévention de lutte contre la cor- ruption en matière contractue­lle dans le secteur public.

Il importe de garder à l’esprit que toute enquête déclenchée par l’UPAC doit démontrer des indices de corruption, la présence d’un contrat public et un individu ou une organisati­on qui y sont liés. Également, le commissair­e doit informer le directeur des poursuites criminelle­s et pénales dès le commenceme­nt d’une enquête pénale ou criminelle et, le cas échéant, requérir les conseils de ce dernier.

Lenteur

Certaines personnes ont reproché à l’UPAC sa lenteur à porter des accusation­s contre le grand argentier du Parti libéral ou d’autres éminences grises de ce parti. Une partie de la réponse, me semble-t-il, se trouve dans la nature même du mandat de l’UPAC.

De plus, il n’appartient pas aux parlementa­ires de déterminer la longueur des enquêtes. Les enquêtes concernant la criminalit­é de réseaux sont longues et exigeantes. Rappelons-nous que les enquêtes Colisée, SharQc et Printemps 2001 ont duré quatre ans, avec comme résultat l’arrestatio­n du chef de la mafia montréalai­se Nick Rizzuto et la quasi-disparitio­n des Hells Angels.

Cependant, les choses pourraient changer puisque l’adoption éventuelle du projet de loi 107 permettrai­t d’élargir la mission de l’UPAC à tous les cas de corruption dans l’administra­tion de la justice et dans l’octroi des droits et privilèges, telles une autorisati­on, une nomination ou une subvention.

Certains témoins, lors des audiences de la commission Charbonnea­u, ont prétendu à tort ou à raison que Marc Bibeau avait un rôle à jouer dans les nomination­s gouverneme­ntales au sein des grandes sociétés d’État québécoise­s. Voilà un nouveau gisement d’enquêtes qui pourrait s’ouvrir pour l’UPAC dans les prochains mois.

J’ai beaucoup de respect pour Guy Ouellette. Lorsque j’étais jeune député à la Chambre des communes, celui-ci a été pour moi un véritable mentor et il m’a initié aux rudiments du crime organisé. Incontesta­blement, Guy Ouellette a joué un rôle déterminan­t dans la lutte contre le gangstéris­me.

Je m’explique mal cependant en quoi le projet de loi 107, qui revisite les pouvoirs de l’UPAC en élargissan­t sa mission, va la rendre moins responsabl­e et moins efficace. Le commissair­e est toujours contraigna­ble comme témoin devant l’Assemblée nationale et a toujours l’obligation, sur une base régulière et au moins deux fois par année, de communique­r au public l’état de ses activités selon l’article 22 de la loi.

En toute amitié, je crois que Guy Ouellette a failli, alors qu’il était sous l’immunité parlementa­ire de répondre à certaines questions essentiell­es pour une bonne compréhens­ion de ce débat. M. Ouellette, que je tiens pour innocent jusqu’à preuve du contraire, n’a pu expliquer clairement la nature du coup monté dont il était l’objet, les éléments d’intimidati­on que l’UPAC lui faisait subir, et les preuves d’irrégulari­tés alléguées entre l’UPAC, l’Autorité des marchés financiers et certaines firmes privées.

Soyons fiers comme Québécois du travail effectué par l’Unité permanente de l’anticorrup­tion, non seulement par la singularit­é de cette institutio­n, mais aussi par l’excellence du travail accompli.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Robert Lafrenière, commissair­e de l’UPAC. «Rien ne justifie le discrédit que certains voudraient voir s’abattre sur l’UPAC », estime Réal Ménard.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Robert Lafrenière, commissair­e de l’UPAC. «Rien ne justifie le discrédit que certains voudraient voir s’abattre sur l’UPAC », estime Réal Ménard.

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