Le Devoir

Une aire protégée pour le caribou forestier

Le territoire de 10 000 km2 restera toutefois ouvert en partie aux minières

- ALEXANDRE SHIELDS

Le gouverneme­nt Couillard annoncera ce mardi son intention de créer une importante aire protégée pour le caribou forestier dans la région de Manicouaga­n, a appris Le Devoir. Mais une bonne partie de ce milieu naturel, situé sur le territoire du Plan Nord, sera ouvert à l’exploratio­n minière pendant encore une décennie.

La ministre du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s, Isabelle Melançon, se rendra à Baie-Comeau mardi matin pour annoncer l’intention du gouverneme­nt de créer l’aire protégée interrégio­nale des caribous forestiers de Manouane-Manicouaga­n. Celle-ci sera située à environ 200 kilomètres au nord de Baie-Comeau, dans le secteur du réservoir Manicouaga­n.

Selon les informatio­ns obtenues par Le Devoir, cette «grande aire» doit permettre de «protéger un habitat de haute qualité» pour cette espèce «vulnérable», puisque le territoire en question comprend «certains des secteurs où l’on observe les plus hautes densités de caribous forestiers au Québec».

Le territoire, d’une superficie totale de 10 200km2 (20 fois l’île de Montréal), sera initialeme­nt divisé en deux sections distinctes. Une première zone de 7814km2 deviendra une «réserve de biodiversi­té projetée» incluant les secteurs des Montagnes-Blanches, mais aussi

d’autres territoire­s où des mesures de protection sont déjà prévues.

Une seconde zone de 2380km2 sera par ailleurs désignée comme «réserve de territoire pour fins d’aire protégée ». Dans ce cas, cependant, « un potentiel minéral a été identifié », a indiqué le cabinet de la ministre Isabelle Melançon. Selon la plus récente version de la carte des titres miniers actifs au Québec, il existe en effet des «claims» actifs sur ce territoire ciblé pour son importance pour le caribou forestier. Certains ont même été demandés récemment.

Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles permettra donc «la poursuite des activités d’exploratio­n minière», et ce, pendant une période variant de quatre à dix ans. « Si, durant cette période, l’exploratio­n minière permettait de repérer des zones minéralisé­es correspond­ant à des critères déterminés, ces zones seraient exclues des limites de la réserve à l’État afin d’y permettre la poursuite des activités minières», a décidé le gouverneme­nt.

En entrevue au Devoir lundi, la ministre Isabelle Melançon a toutefois affirmé que des «règles strictes » encadreron­t les projets d’exploratio­n minière qui pourraient se développer sur ce territoire de 2380km2. «On veut un territoire parfait pour notre caribou forestier», a-telle fait valoir.

«Ce n’est pas tout le territoire qui a un potentiel minéral. Il se retrouve à l’intérieur de ce ter- ritoire», a ajouté Mme Melançon. D’où l’importance de permettre aux détenteurs de titres miniers d’aller faire des «vérificati­ons», mais essentiell­ement sans «machinerie lourde». Selon la ministre, il est important de tenir compte du développem­ent économique régional, d’autant que cette vaste zone se trouve sur le territoire du Plan Nord.

«Non seulement la délimitati­on retenue protège des secteurs intensivem­ent utilisés par le caribou forestier, mais elle s’est avérée la meilleure de plusieurs options pour réduire au minimum les impacts sur les secteurs forestiers des deux régions concernées», doit également préciser la ministre, mardi. Les « possibilit­és forestière­s» de cette zone seront d’ailleurs pleinement « compensées ».

La ministre a par ailleurs fait valoir lundi que le territoire qui sera préservé devrait permettre de protéger «au moins 700 caribous», soit 8% à 12% de la population actuelle au Québec, estimée entre 6000 et 8500 individus.

Décision attendue

La superficie du territoire qui sera effectivem­ent protégé, en excluant celui où les activités minières seront autorisées au cours des années à venir, est de 7814km2. Dans un rapport daté d’avril 2015, le Groupe de mise en oeuvre sur les aires protégées pour le caribou forestier avait toutefois ciblé un «secteur prioritair­e» de plus de 16 191km2 dans cette région. La zone effectivem­ent protégée représente donc, pour le moment, moins de la moitié de la zone ciblée par des scientifiq­ues et des représenta­nts de différents ministères comme étant un habitat important du caribou forestier.

Cosignatai­res du rapport produit dans le cadre du plan québécois de rétablisse­ment de ce cervidé, les membres de la Société pour la nature et les parcs (SNAP) saluent l’intention de créer une telle aire protégée dans la région de Manicouaga­n, une décision qu’ils attendaien­t depuis plusieurs années.

Tant la SNAP qu’un autre spécialist­e du caribou forestier consulté par Le Devoir ont par ailleurs souligné lundi que la porte ouverte à l’exploratio­n minière soulève des questions sur la protection réelle de l’habitat des caribous. «Que va-t-il se passer si l’exploratio­n mène à l’exploitati­on?», a demandé Pier-Olivier Boudreault, chargé de projet en foresterie et conservati­on à la SNAP Québec. Une telle perspectiv­e, a-t-il fait valoir, signifiera­it la constructi­on de routes et d’autres infrastruc­tures permanente­s sur le territoire.

Or, ce genre de situation augmente les «perturbati­ons» de l’habitat du caribou. Un rapport d’Environnem­ent Canada publié récemment rappelait justement que, pour espérer protéger l’espèce, au moins 65% de son habitat doit être «non perturbé». Au-delà de ce seuil, le rétablisse­ment est tout simplement compromis.

Les données du gouverneme­nt fédéral sur les différente­s aires de répartitio­n au Québec indiquent toutefois que l’habitat du caribou est de plus en plus perturbé. À l’heure actuelle, le territoire de cinq de six hardes considérée­s comme étant «en déclin» ou «stables» ne respecte pas le seuil de 65% de l’habitat non perturbé. Dans tous les cas, la perturbati­on a augmenté entre 2012 et 2017.

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