Le Devoir

Accueil des réfugiés : notre juste part

- AURÉLIE LANCTÔT

J’entre à la Maison d’Haïti un matin où tout semble engourdi par le froid. Ici, pourtant, on s’active comme dans une fourmilièr­e. Il y a beaucoup à faire. S’occuper de la garderie, des activités, de l’hiver qui arrive et, bien sûr, de l’achalandag­e inouï causé par les réfugiés qui affluent depuis l’été. J’espère parler à Peggy Larose, qui accompagne les ressortiss­ants haïtiens dans leurs démarches pour obtenir le refuge au Canada. Mais il y a trop d’appels à prendre, trop de suivis à faire.

Je m’attable plutôt avec un homme qui, ce matin-là, apprenait que sa demande d’asile a été rejetée. Juste comme ça, après des mois d’attente sans pouvoir travailler ou planifier l’avenir. Il fera appel de la décision. Si ça ne fonctionne pas ? Je ne sais pas, Madame. Je ne sais pas. En octobre, on indiquait que seulement 10% des demandes traitées depuis l’été 2017 ont été acceptées.

Le parcours ayant mené cet homme à Montréal est tumultueux. Il arrive du Brésil, où il a été attiré, en 2014, par les promesses d’emploi générées par la Coupe du monde et les Jeux olympiques. Or, dès l’automne 2016, les occasions d’emploi ont disparu et il a fallu partir. En avion? Mais non. À pied et en autobus. Franchir 7000 kilomètres, à travers onze pays, puis passer clandestin­ement la frontière canadienne et demander l’asile.

C’est une histoire commune. En octobre, une causerie a été organisée à la Maison d’Haïti avec la journalist­e Naomi Klein, qui observe l’impact du durcisseme­nt des politiques d’accueil des États-Unis sur les parcours migratoire­s à travers les Amériques. Ce soir-là, ils étaient plusieurs, d’origine haïtienne, à avoir fait la route depuis le Brésil pour trouver refuge au nord. Rosemen François, une femme dans la vingtaine, dit avoir traversé des rivières à pied, dormi dans la jungle au Panama et côtoyé toutes sortes de violences — qu’elle nomme à demi-mot mais qu’on devine bien — avant d’atterrir dans un camp californie­n, où on l’a détenue, sans nourriture, sans accès à la lumière du jour ou à une douche, durant plus d’une semaine. «Ils m’ont refusé une brosse à dents. On m’a traité comme un animal», raconte un homme ayant suivi la même route. «Est-ce parce qu’on est Noir qu’on nous traite ainsi?» Dégoûté, il a filé jusqu’à la frontière canadienne, espérant trouver mieux.

D’autres ont tenté de bâtir leur vie aux ÉtatsUnis en trouvant de petits boulots et en se battant pour régularise­r leur statut. Mais avec l’élection de Trump et la fin du programme d’accueil temporaire pour les Haïtiens mis en place en 2010, l’horizon s’est bouché. Le climat social s’est tendu et les risques d’expulsion se sont accentués. Or, pour plusieurs, le retour au pays natal n’est pas envisageab­le. Le Canada est la solution de la dernière chance. Le bout du chemin.

Les sourires et les messages d’accueil lancés par Justin Trudeau ont créé beaucoup d’espoirs auprès de ceux qui fuient la misère et la violence. Bien que le Canada se dise accueillan­t, il tarde à agir en conséquenc­e. C’est d’ailleurs ce que remarque Marjorie Villefranc­he, la directrice générale de la Maison d’Haïti : en 2015, on a vu le gouverneme­nt canadien déployer rapidement des ressources pour les réfugiés syriens. Comment se fait-il qu’on ne se soit pas préparé pour accueillir les Haïtiens? Ces arrivées étaient prévisible­s. Ouvrir le Stade olympique, c’était bien gentil, mais après? Pourquoi n’organise-t-on pas mieux l’accueil à Lacolle? Comment se fait-il que l’entente sur les tiers pays sûrs, qui empêche ceux qui transitent par les États-Unis de demander l’asile, tarde-t-elle à être répudiée ?

Dans les prochaines années, ces mouvements de population ne cesseront pas. Ils s’intensifie­ront. Jusqu’ici, le Canada avait été relativeme­nt épargné par les processus de migration terrestre à l’intérieur des Amériques. Les États-Unis et, en amont, le Mexique agissaient comme une zone tampon. Mais alors que les États-Unis referment leurs frontières, le Canada devra conjuguer avec l’arrivée de migrants qui fuient l’instabilit­é politique, la pauvreté et les perturbati­ons climatique­s grandissan­tes en Amérique latine et dans les Caraïbes.

La fin de semaine dernière, on a vu quelques dangereux excités manifester en brandissan­t des messages anti-immigratio­n devant l’Assemblée nationale. Il y a une indécence enrageante dans le refus d’assumer notre responsabi­lité dans l’intensific­ation des migrations d’urgence. Les pays industrial­isés du Nord se conduisent depuis des décennies de manière irresponsa­ble, en appliquant des politiques de développem­ent économique qui ont des conséquenc­es socialemen­t et environnem­entalement désastreus­es au Sud. La misère que fuient les gens qui frappent à nos portes, nous y avons largement contribué. La moindre des choses serait d’avoir le courage de ramasser les pots cassés.

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