On achève bien les samouraïs
Takeshi Miike fait dans la démesure dans Blade of the Immortal
BLADE OF THE IMMORTAL ★★★1/2 Drame fantastique de Takeshi Miike. Avec Takuya Kimura, Hana Sugisaki, Sôta Fukushi, Hayato Ichihara. Japon, 2017, 140 minutes.
Pas encore la soixantaine et déjà 100 films derrière la cravate? Pour le cinéaste japonais Takeshi Miike (Hari-Kiri: Death of a Samourai, 13 Assassins), cela ne relève pas de l’exploit, mais d’une posture routinière et, surtout, d’une impulsion dévorante qui d’ailleurs traverse tous ses films, peu importe le genre qu’il aborde.
Si certains percevaient une baisse de régime et un désir de dosage dans les excès, Blade of the Immortal, inspiré d’un manga signé Hiroaki Samura, ramène, en quelque sorte, les pendules à l’heure: tout dans ce film exulte la démesure, d’abord sa durée (plus de deux heures frénétiques), et surtout le nombre de guerriers tombés au combat, les litres incalculables de faux sang maculant l’écran, et les paysages champêtres rarement captés dans un esprit de contemplation.
Takeshi Miike a mieux à faire, dont l’orchestration d’une suite quasi infinie de batailles qui nécessitent l’attention constante d’un chef opérateur au plus près des corps, parfois à deux centimètres de leurs blessures sanglantes, et à l’occasion dans la position de l’artiste devant des tableaux grandioses célébrant la fureur des combats épiques. Ceux-ci sont le plus souvent invraisemblables, et d’une violence opératique qui ne s’excuse jamais de s’afficher comme telle. D’où leur caractère jubilatoire, « over the top » comme on dirait en japonais.
Il y a bien sûr cette prémisse farfelue, celle de l’immortalité de Manji (Takuya Kimura, une interprétation à faire baver Tarantino), un samouraï dont le pouvoir s’apparente à une malédiction, hérité après le meurtre de sa jeune soeur, sous ses yeux, et du vaste carnage qu’il a provoqué pour se venger de ses ennemis. Cinquante ans plus tard, l’homme n’a pas pris une seule ride — mais pas mal de coups ! — et n’est guère enthousiaste à l’idée d’accompagner une fillette, Rin (Hana Sugisaki), dans sa quête de vengeance contre un chef qui veut étendre son autorité, ayant au passage tué le père de Rin et fait prisonnière sa mère.
Dans ce monde où les sabres sont constamment tachés de sang, où derrière chaque arbre ou chaque coin de rue se cache un samouraï en service commandé, Takeshi Miiki règle les détails de ce ballet funeste avec son professionnalisme coutumier, sans pour autant offrir un spectacle totalement prévisible. De ses vilains émane parfois une certaine ambiguïté sexuelle, tandis que des combattantes arborent des cheveux peroxydés, des costumes dignes des fantasmes d’adolescents boutonneux, ou affichent une aversion étonnante à l’égard de la violence. Ce qui ne les empêche pas d’exécuter de véritables prouesses acrobatiques dignes des délires olympiques du cinéaste chinois Zhang Yimou.
Celles du célèbre délinquant du cinéma japonais ne manquent jamais de tonus, et Blade of the Immortal constitue une occasion assez rare d’apprécier sur grand écran, et hors des festivals spécialisés, une démarche en apparence désordonnée, mais résolument euphorisante.