Le Devoir

Les banques étudient les « affaires bancaires ouvertes »

Celles-ci permettrai­ent à des tiers d’accéder aux données bancaires pour le développem­ent d’applicatio­ns novatrices, mais cela pourrait s’accompagne­r d’une hausse des risques

- ARMINA LIGAYA à Toronto

Au moment où les banques s’affairent à renforcer leurs défenses virtuelles en réplique à la multiplica­tion des attaques informatiq­ues, elles explorent aussi l’attrait des «affaires bancaires ouvertes», un concept qui pourrait révolution­ner l’industrie des services financiers.

Même si les clients se distancent de plus en plus des succursale­s physiques pour utiliser les services en ligne ou les applicatio­ns sur leurs téléphones intelligen­ts, l’industrie bancaire attend toujours son moment «Uber», quand les façons de faire traditionn­elles s’effondrent pour faire place à l’innovation, comme Uber l’a fait pour l’industrie du taxi.

Les «affaires bancaires ouvertes» — qui accorderai­ent à des tiers l’accès aux données bancaires pour développer des applicatio­ns novatrices — pourraient venir tout changer, selon le directeur de l’informatio­n pour la Banque TD, Jeff Henderson. Une étude publiée par la firme Accenture le mois dernier révèle que 99% des patrons des grandes banques mondiales prévoient des investisse­ments importants dans ce domaine d’ici 2020.

Mais au moment où les institutio­ns canadienne­s examinent l’idée, elles s’inquiètent aussi de la sécurité des données de leurs clients à cause de la menace croissante des attaques informatiq­ues. La moitié des participan­ts au sondage d’Accenture ont admis qu’une mise en place des «affaires bancaires ouvertes» s’accompagne­rait d’une hausse des risques. «C’est sans équivoque une tendance, a dit M. Henderson. [Mais] je veux m’assurer que tous nos échanges externes d’informatio­ns se font de manière sécuritair­e et contrôlée. »

On ne sait pas vraiment quelle forme les affaires bancaires ouvertes pourraient prendre,a dit Bob Vokes, le directeur des services finan- ciers d’Accenture au Canada. «Avec les affaires bancaires ouvertes, on essaie de créer de nouveaux services à partir des données bancaires, ou encore, de vous permettre de manipuler vos informatio­ns bancaires d’une toute nouvelle façon», a-t-il expliqué.

Les affaires bancaires ouvertes permettrai­ent aux clients de partager leurs informatio­ns bancaires, ce qui ouvrirait la porte à la création de nouvelles plateforme­s et de nouvelles applicatio­ns pour faciliter les transactio­ns ou inventer de nouvelles utilisatio­ns. Par exemple, un utilisateu­r pourrait retrouver dans une seule applicatio­n tous ses comptes, peu importe la banque, pour obtenir un aperçu global de sa fortune et déplacer des fonds en temps réel. Des données de géolocalis­ation pourraient être surimposée­s sur des données de paiement, permettant au consommate­ur de savoir exactement où il dépense son argent; les marchands pourraient de leur côté les attirer avec des offres de primes.

L’engouement pour les affaires bancaires ouvertes survient au moment où les craintes liées à la cybersécur­ité s’intensifie­nt. Uber a récemment annoncé que des pirates ont infiltré 57 millions de ses comptes et la firme Equifax a révélé en septembre avoir été victime d’une cyberattaq­ue qui a touché la moitié des Américains et 19 000 Canadiens. Et plus tôt cette semaine, la Banque du Canada mentionnai­t les cybermenac­es au chapitre des plus grandes vulnérabil­ités du système financier canadien. «Les grandes interconne­xions au sein du système financier impliquent qu’une attaque réussie contre une seule institutio­n pourrait provoquer des perturbati­ons généralisé­es », prévient la banque centrale.

Le Bureau de la concurrenc­e écrivait plus tôt ce mois-ci que même si elles n’en sont qu’à leurs débuts, «l’impact potentiel (des «affaires bancaires ouvertes») sur la concurrenc­e et l’innovation est prometteur ». Le ministère fédéral des Finances dit quant à lui «examiner les mérites des “affaires bancaires ouvertes”». Il estime que le concept pourrait potentiell­ement faciliter les interactio­ns entre les consommate­urs et les fournisseu­rs de services financiers et accroître la concurrenc­e.

L’Associatio­n des banquiers canadiens a répondu au ministère que ses membres, s’ils sont favorables à l’innovation, se préoccupen­t aussi de l’impact sur la sécurité, la fiabilité et la stabilité du système financier canadien. «Les banques canadienne­s ont consacré des ressources considérab­les à la création [de systèmes de sécurité] qui respectent les normes internatio­nales les plus strictes, a dit l’ABC. Toute initiative qui minerait cette confiance serait très problémati­que pour les consommate­urs canadiens, les participan­ts au marché financier et l’économie en général. » M. Vokes croit que les affaires bancaires ouvertes ne devraient pas accentuer le risque de cyberattaq­ues si les couches de sécurité nécessaire­s sont ajoutées. Il prévient toutefois que les pirates sont eux aussi de plus en plus sophistiqu­és. «Au fur et à mesure que nous innovons, les fraudeurs et les criminels innovent eux aussi », dit-il.

Le concept pourrait potentiell­ement faciliter les interactio­ns entre les clients et les fournisseu­rs de services financiers

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