Éducation
Les adultes souffrant de déficience intellectuelle trouvent leur place dans la société dans une école montréalaise
Apprendre à conjuguer la déficience à l’âge adulte
« À l’école ici, les jeunes ne viennent pas tant apprendre les maths qu’à vivre en société. Ils viennent apprendre la vie», résume Kim Bernier, éducatrice spécialisée dans l’une des rares écoles du Québec qui offrent des services éducatifs aux adultes de plus de 21 ans présentant une déficience intellectuelle légère ou moyenne.
Il est neuf heures du matin. Dans un beau tumulte, les rires et les confidences, une centaine de jeunes adultes envahissent les couloirs étroits de l’édifice Filion, une annexe du Centre d’éducation des adultes Outremont de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.
La porte se referme sur la classe de Jacques Pilon. Le professeur accueille ses élèves en présentant la météo et la photo du jour. Sur le tableau blanc, un coucher de soleil sur Los Angeles provoque l’émerveillement des étudiants. Monsieur Jacques invite ses étudiants à prendre leur carte du monde pour la leçon de géographie.
«Qu’est-ce qu’on mange en Californie? s’enquiert une élève avec enthousiaste. Est-ce qu’ils mangent de la pizza au pepperoni? Oui? Et du poulet aussi? Et des tacos? J’adore ça les tacos. Oh non, se reprend-elle en riant. C’est papa qui adore les tacos. Moi, je déteste ça.»
Les discussions vont bon train, chacun y va de sa petite expérience liée à la photo du jour. C’est comme ça tous les matins.
«Dans cette classe, notre dénominateur commun, c’est la socialisation, explique l’enseignant. La plupart des élèves ici vivent à domicile, alors ils doivent apprivoiser la vie de groupe. Le défi, pour tous nos élèves, quel que soit leur niveau, ça demeure de partager l’espace, la manière d’aller chercher l’attention et le respect des autres. Toutes ces choses varient d’un individu à l’autre parce qu’ils n’ont pas tous le même vécu. La composition des groupes est très diversifiée.»
Intégration sociale
La plupart des élèves arrivent à l’édifice Filion au début de la vingtaine, après leur passage dans une école spécialisée.
«Ils ont le droit de rester dans les écoles secondaires jusqu’à 21 ans. Après, certains tombent sur des listes d’attente pour avoir une place en centre de réadaptation. On devient alors une option pour ceux qui souhaitent continuer leurs études et suivre le programme d’intégration sociale», explique la directrice Angie Eleftheratos dans son bureau décoré d’art naïf signé de ses élèves.
«Au début, c’est difficile, reconnaît-elle. Il y a plusieurs transitions pour les élèves. Ils sont beaucoup plus nombreux dans les classes qu’au secteur des jeunes. Et on n’offre pas de transport, ils doivent donc voyager seuls, en taxi ou en transport adapté. On travaille beaucoup l’autonomie aussi: ils doivent prendre leurs responsabilités pour aller en classe, être capables de suivre leur horaire. Ce n’est pas aussi encadré qu’au secondaire. Ici, c’est un choix de venir à l’école.»
Scolarité
Les étudiants restent en moyenne cinq ans, après quoi on considère qu’ils sont prêts à passer à l’étape suivante.
Pour faciliter la transition, l’école offre des stages en milieu de travail. Les jeunes adultes vont placer des étiquettes dans un grand magasin, nettoyer des jouets dans une classe de maternelle ou faire des photocopies dans des bureaux.
« Le dénominateur commun, c’est la socialisation Jacques Pilon, enseignant
«Le programme a pour but d’améliorer et de développer les habiletés pour qu’ils puissent s’intégrer dans la communauté, précise la directrice. On les prépare au travail et, pour certains, on les prépare à vivre seuls en appartement. On a un programme scolaire aussi, mais c’est toujours dans un objectif fonctionnel. »
Dans les cours de mathématiques, par exemple, on leur apprend à faire des additions simples, à lire l’heure et à arrondir une somme au dollar près. Dans la classe d’Anne-Marie, les étudiants apprennent à remplir une fiche d’identité. Les élèves peinent à recopier leur adresse dans les cases. « Ici, il faut écrire le numéro de votre porte, répète le professeur. C’est important de savoir votre numéro de porte, c’est ce numéro que vous devez donner quand quelqu’un vient vous chercher à la maison. »
Cuisine, théâtre et yoga
Une douce odeur de muffin au chocolat envahit les couloirs. Dans la cafétéria, les étudiants préparent des cupcakes en prévision d’une fête d’anniversaire prévue pour le lendemain.
Patiemment, le professeur guide les jeunes à chacune des étapes. Il leur fait lire la recette sur le mélange commercial, leur enseigne à utiliser une tasse à mesurer — «la ligne est ici, il faut mettre de l’eau jusqu’ici» — et à doubler une recette.
Au deuxième, Simon donne un cours de théâtre. Il stimule l’imagination des étudiants à travers diverses improvisations, il les aide à reconnaître et à mimer leurs émotions. Il les invite à danser, à se défouler au son de la musique de Beyoncé ou de Jennifer Lopez. Les inhibitions tombent au fil des ateliers.
Un peu plus loin, Marie-Ève donne un cours de yoga avant de retourner à son groupe attitré. «Avant, j’enseignais à des classes ordinaires, explique-t-elle. J’avais l’impression que ce serait très différent ici, mais ce n’est pas le cas. J’adapte mon matériel pour que ce soit moins “bébé”, mais pour le reste, c’est la même façon d’enseigner.»
L’amour, l’amour
La cloche sonne. Dans les corridors, de nombreux couples se prennent par la main pour descendre dîner à la cafétéria. «Les chums et les blondes, ça prend beaucoup de place ici», constate l’éducatrice Kim Bernier. Il y a les «couples d’un jour», comme elle les appelle affectueusement, et les amours secrètes, qui s’épanouissent à l’abri du regard parental.
«Ils ont 20 ans, ils veulent un chum ou une blonde, mais ils ne savent pas toujours comment s’y prendre. Certains me demandent: est-ce que c’est correct si je trompe mon chum? D’autres me disent: “Regarde Kim, aujourd’hui j’ai deux blondes, c’est cool, hein?” Ce n’est pas toujours évident, parce que je ne suis pas là pour leur dire: non ce n’est pas correct. Je leur dis: personnellement, je ne ferais pas ça, mais si c’est correct pour toi et pour les gens concernés, c’est ton choix. Je suis là pour les guider, pas pour leur dire quoi faire. Il faut se rappeler que ce sont des adultes.»