Exclue de Pyeongchang, la Russie mise au pied du mur
La décision du Comité international olympique (CIO) d’exclure la Russie des Jeux olympiques de 2018 à Pyeongchang a provoqué mardi un tremblement de terre dans le monde du sport. Cette sanction sans précédent dans l’histoire de l’olympisme, provoquée par la découverte d’un système de dopage institutionnalisé, met le gouvernement russe au pied du mur.
« Il s’agit d’une attaque sans précédent contre l’intégrité des Jeux olympiques et du sport», a déclaré mardi le président du CIO, Thomas Bach, au sujet du stratagème mis en place par la Russie lors des Jeux de Sotchi
pour manipuler le système antidopage.
Après avoir été critiqué pour son manque de fermeté à la veille des Jeux olympiques de Rio, en 2016, le CIO a donc choisi de frapper un grand coup. Il a décidé d’exclure la délégation russe des Jeux de Pyeongchang, tout en permettant aux athlètes russes de participer aux compétitions sous la bannière olympique s’ils parviennent à remplir les conditions de l’Autorité de contrôle indépendante, à laquelle la Russie devra verser 15 millions de dollars américains.
Cela signifie que le drapeau de la Russie ne flottera pas dans les stades de Pyeongchang, que l’hymne national russe sera remplacé par l’hymne olympique et que le nom du pays sera absent du tableau des médailles.
La commission exécutive du CIO a annoncé mardi la suspension du Comité olympique russe et de son président, Alexander Zhukov. L’ancien ministre des Sports de la Russie devenu vicepremier ministre du pays, Vitaly Mutko, de même que son vice-ministre de l’époque, Yuri Nagornykh, sont quant à eux exclus à vie de toute participation aux Jeux olympiques.
Le CIO précise qu’il pourra lever «partiellement ou totalement » la suspension du Comité olympique russe dès la fin des Jeux de 2018 si ce dernier se conforme à sa décision.
«Sanctions encourageantes»
L’annonce du CIO a été accueillie avec soulagement par plusieurs comités olympiques, à commencer par celui du Canada. «Les sanctions annoncées aujourd’hui sont encourageantes, et nous espérons qu’elles seront porteuses de changements positifs pour le sport propre et éthique», a déclaré la présidente du Comité olympique canadien, Tricia Smith.
De la même façon, le comité olympique américain a salué une décision «forte», qui devrait empêcher un pareil scandale de dopage de se reproduire.
Au moment d’écrire ces lignes, le gouvernement russe n’avait pas directement réagi à son
exclusion des prochains Jeux olympiques. Avant d’être suspendu, Alexander Zhukov avait déclaré mardi devant la commission exécutive du CIO que « punir des innocents est injuste et immoral», en parlant des sportifs qui pourraient devoir renoncer à leur rêve olympique.
Le Comité olympique russe devrait se prononcer officiellement à la suite de sa prochaine réunion, prévue le 12 décembre.
Décision «nécessaire»
«Le CIO se reprend, reconnaît la situation et maintenant agit pour Pyeongchang. C’était vraiment nécessaire, parce qu’on est un peu dans un cul-de-sac présentement», a commenté mardi la directrice du Laboratoire de contrôle du dopage du Centre INRS-Institut ArmandFrappier, Christiane Ayotte.
En 2016, quelques jours avant le déclenchement des Jeux de Rio, le CIO n’avait pas directement sanctionné la Russie, choisissant alors de renvoyer la balle dans la cour des fédérations sportives internationales.
Dans les semaines précédentes, l’existence du système de dopage russe avait pourtant été étalée sur la place publique par l’ancien directeur du laboratoire antidopage russe, Grigory Rodchenkov, puis confirmée par la publication du rapport McLaren, commandé par l’Agence mondiale antidopage.
« Il n’est jamais trop tard pour bien faire, mais nous sommes maintenant enlisés dans une situation où la Russie devra effectuer un virage à 180 degrés, souligne Mme Ayotte. On verra si c’est possible ou non. »
Pour ce qui est de l’Autorité de contrôle indépendante, qui supervisera la sélection des athlètes russes pouvant participer aux Jeux de Pyeongchang, la spécialiste veut «laisser la chance au coureur». «On n’a pas de meilleur choix présentement », précise-t-elle.
Impacts politiques
Comme c’est toujours le cas lorsqu’il est question de Jeux olympiques, la décision du CIO dépasse le simple cadre sportif, note le professeur de géographie à l’UQAM Éric Mottet, qui s’intéresse au lien entre sport et politique.
«Le sport faisait partie de la grande réflexion de Vladimir Poutine sur le retour de la Russie sur l’échiquier mondial, rappelle-t-il. Il est évident que d’être au ban du monde sportif, ça va être un coup dur pour le pays. »
Son collègue de l’UQAM Yann Roche, spécialiste de la géopolitique du sport, souligne cependant que la Russie fera sans doute valoir que son exclusion est un plan orchestré par les Américains ou les pays occidentaux pour la faire mal paraître.
«Vu de l’extérieur, la Russie perd beaucoup de plumes. Mais à l’intérieur du pays, Poutine se fait des alliés. Cette idée que tout le monde leur en veut, c’est une vieille idée répandue chez les Russes qui peut lui permettre de gagner des points. »
M. Roche estime par ailleurs qu’en laissant une porte entrouverte pour les athlètes russes, le CIO a «ménagé la chèvre et le chou» à l’approche de la Coupe du monde de soccer 2018, qui aura lieu en Russie. «La décision du CIO est une manière de taper sur la dimension politique sans trop pénaliser les athlètes. »
« Les Jeux olympiques et la Coupe du monde sont deux événements déconnectés, ajoute M. Mottet. Mais j’imagine que les mois qui vont précéder l’ouverture de la Coupe du monde vont être irrespirables. »