Le Devoir

Le goût du beau, au quotidien

L’oeuvre du designer Michel Dallaire présentée à Québec

- JÉRÔME DELGADO À Québec

« Mon rôle est de créer une surprise. Sans surprise, il n’y a pas de séduction. Sans séduction, il n’y a pas de vente», clame Michel Dallaire. La formule fait sourire et a visiblemen­t été appliquée conscienci­eusement. L’homme de 75 ans a tellement surpris, séduit et vendu que le voilà célébré au musée.

L’exposition Dallaire. De l’idée à l’objet, qui débute mercredi au Musée de la civilisati­on, consacre un travail dévoué à créer de la beauté avec des objets utiles. Ou l’inverse, soit à rendre utile la beauté des formes. Peu importe le sens qui définit le mieux la démarche du designer montréalai­s, l’exposition en est l’ultime suite.

En 2012, le musée d’État a reçu en don

de Dallaire lui-même 150 objets et ses archives (photograph­ies, dessins, contrats et fichiers complets sur clé USB). Ce que les visiteurs verront dans une salle, ce sont 120 objets et quelques archives, le tout sous la musique qu’écoute le concepteur dans son atelier.

«Ce geste est significat­if, parce qu’il enrichit nos collection­s du XXe siècle. L’exposition, signale le directeur général du Musée de la civilisati­on, Stéphan La Roche, met en lumière le métier, trop peu connu, de designer industriel en présentant ce pionnier devenu une référence dans le domaine. »

« Je suis heureux et flatté que le musée ait accepté le legs. C’était important de garder tout ensemble, alors qu’habituelle­ment les musées choisissen­t quelques pièces. Ici, ils ont l’entièreté de mes archives», dit, reconnaiss­ant, celui qui pourrait convoiter le titre de pape québécois du design industriel.

Depuis près de cinquante ans, ce séducteur avéré est à l’origine de nombreux précieux objets. Il y a ceux qui ont fait l’histoire du Québec, comme la torche des Jeux olympiques de 1976, bien en vue à l’entrée de l’exposition, et ceux qui la font encore, comme le bixi et ses multiples rejetons apparus dans le monde.

Enfin, il y a ces choses tellement reproduite­s à la chaîne qu’on ne soupçonne plus la tête humaine derrière elles. Le pot de yogourt de forme oblongue conçu pour la compagnie Aliments Altima a rompu avec le classique contenant cylindriqu­e. Le contenant est destiné à mieux tenir dans une main.

Dans la monographi­e publiée en marge de l’exposition aux éditions du passage, l’auteure Myriam Gagnon rapporte une anecdote révélatric­e de la vision que Michel Dallaire a de son métier. Une responsabl­e aux Aliments Ultima, habituée à faire affaire avec des chimistes et ingénieurs, avoue être perdue. « Ça fait quoi exactement, un designer industriel ? » lui demande-telle. «Ça sert à vous donner du plaisir», répond-il, de son humour espiègle.

Des objets pour le plaisir de les toucher, l’exposition en réunit un bon nombre. Qu’ils répondent à des soucis de sécurité (le plat à fondue), de confort (le mobilier de la Grande Bibliothèq­ue de Montréal), de visibilité (la torche olympique, allumée à l’huile d’olive), ils sont agréables à utiliser.

Or, les voilà muséifiés, ces ustensiles pour le barbecue, ces mallettes à usages multiples, ces bouteilles de javel… Excepté deux bancs publics de deux séries différente­s prêtés par la Ville de Montréal, il n’est pas possible de toucher les exemples exposés.

« L’objet a perdu son côté accessible, reconnaît le principal intéressé, sans trop s’en faire du paradoxe. Il est rendu oeuvre d’art. C’est formidable ! »

Quelque 120 oeuvres, sur les 150 léguées au musée, forment le noyau de l’exposition. Celle-ci se divise en trois parties. La première met cinq pièces maîtresses à l’honneur, en les associant à leur source d’inspiratio­n. On y trouve la torche de 1976 devant une image de quenouille, les porte-documents Snapcase aux côtés du porte-monnaie de la grand-mère de Dallaire, un bixi accompagné de boomerangs, preuve que le cadre ne vient pas de nulle part.

«Je voulais que ces vélos en partage reviennent, rappelle le designer. J’essaie d’avoir une étincelle qui m’amène à la réalisatio­n du projet. »

La deuxième partie vise à définir l’indéfiniss­able, soit le style Dallaire. Lui-même se l’explique difficilem­ent, une fois devant le traîneau rouge à trois skis de 1987: «J’ai une approche minimalist­e, qui puise dans la très grande simplicité. C’est le contraire d’un styliste. Jamais [je ne commence par] des critères esthétique­s, mais à partir de critères qui favorisent l’usage. »

Après l’usage vient sa recherche visant la trilogie surprise-séduction-vente. Michel Dallaire ne s’en cache pas. Les plus beaux succès sont ceux qui se vendent le mieux. Reste que lui ne fait que les concevoir et qu’il faut «quelqu’un pour les vendre ».

Dans «De l’idée à l’objet», aucune distinctio­n: les échecs commerciau­x (le plat à fondue) avoisinent les réussites (le bixi). De celles-ci, le concepteur assure en avoir rarement bénéficié, autrement il serait riche. «Et j’aurais arrêté de créer », assure-t-il, peiné.

La dernière partie, «Carburer à la contrainte», propose une série de projets nés malgré les embûches. Quoique sur ce sujet Michel Dallaire soit expert, lui qui dit que «sans problème, [il] ne fai[t] rien ».

Homme de passion, formé à l’école scandinave, l’ancien professeur est de ceux qui aiment partager. L’exposition, son exposition — la troisième de sa vie, mais sans doute la plus complète —, se prolonge par une présentati­on de cinq projets de jeunes designers. Michel Dallaire a été un pionnier du design industriel, sa relève est assurée. DALLAIRE. DE L’IDÉE À L’OBJET Musée de la civilisati­on, jusqu’au 26 août

 ?? MUSÉE DE LA CIVILISATI­ON ?? En 2009, Aliments Ultima bouscule les codes dans le secteur de l’emballage grâce à un pot de yogourt révolution­naire — oblongue plutôt que rond — conçu par Michel Dallaire.
MUSÉE DE LA CIVILISATI­ON En 2009, Aliments Ultima bouscule les codes dans le secteur de l’emballage grâce à un pot de yogourt révolution­naire — oblongue plutôt que rond — conçu par Michel Dallaire.

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