Le Devoir

Au pays du bilinguism­e et du multicultu­ralisme.

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le commissair­e aux langues officielle­s désigné a semé la consternat­ion dans les rangs de l’opposition à Ottawa en s’exprimant sur le bilinguism­e des juges de la Cour suprême.

Bien qu’il espère être nommé prochainem­ent commissair­e aux langues officielle­s, Raymond Théberge ne partage pas l’idée que les juges à la Cour suprême doivent maîtriser le français et l’anglais. Le candidat du gouverneme­nt Trudeau au poste de chien de garde des langues officielle­s au pays est d’accord avec le principe, mais ajoute qu’il peut s’avérer compliqué en pratique.

Sa candidatur­e avait jusqu’ici été accueillie sans trop de heurts. Lors de sa comparutio­n au Comité parlementa­ire des langues officielle­s, cependant, Raymond Théberge a offert une réponse qui a étonné les députés de l’opposition.

Invité à indiquer s’il estimait que les juges à la Cour suprême devaient être bilingues — une position défendue par le gouverneme­nt de Justin Trudeau —, le commissair­e désigné aux langues officielle­s a répliqué «en principe, moi, j’y crois». Mais sa réponse ne s’est pas arrêtée là. « En pratique, jusqu’à quel point est-ce qu’on va représente­r la diversité canadienne à la Cour suprême? Et je pense que c’est la Cour suprême de tous les Canadiens et Canadienne­s. Donc, au niveau pratique, on doit commencer à songer à ce que ça veut dire. »

Raymond Théberge a été appelé à préciser sa pensée. Le Franco-Manitobain a cité les débats qui ont entouré la récente nomination de la juge Sheilah Martin à la Cour suprême — plusieurs se sont demandé si aucun autochtone n’avait été nommé faute d’un candidat qui parle l’anglais et le français. «Le Canada est multicultu­rel», a conclu Raymond Théberge. «Mais il est officielle­ment bilingue», lui a lancé la néodémocra­te Anne Quach. «Officielle­ment bilingue, absolument. Ça ne veut pas dire que l’un va à l’encontre de l’autre», a rétorqué le commissair­e désigné.

À sa sortie du comité, M. Théberge a catégoriqu­ement refusé de préciser sa pensée, arguant qu’il n’avait pas encore officielle­ment été nommé, même lorsque les médias lui ont souligné que ses propos pouvaient porter à confusion. La rencontre a été écourtée en raison de problèmes techniques et le candidat reviendra probableme­nt terminer son témoignage jeudi. Conservate­urs et néodémocra­tes promettent de revenir alors à la charge dans ce dossier.

Pas d’inquiétude au gouverneme­nt

Le bureau de la ministre du Patrimoine et responsabl­e des Langues officielle­s, Mélanie Joly, n’a pas voulu faire de commentair­es lorsque Le Devoir lui a demandé si les propos de M. Théberge le menaient à reconsidér­er sa nomination. L’attaché de presse Simon Ross a préféré rappeler que le gouverneme­nt avait nommé deux juges bilingues à la Cour suprême. «Pour nous, le bilinguism­e à la Cour suprême, c’est essentiel», a-t-il tranché. Le gouverneme­nt s’est opposé cet automne au projet de loi néodémocra­te qui aurait imposé le bilinguism­e aux futurs juges du plus haut tribunal du pays, craignant qu’un tel changement ne constitue un amendement constituti­onnel et préférant plutôt faire des nomination­s en ce sens sans enchâsser le principe dans la Loi sur la Cour suprême.

La libérale Linda Lapointe, qui siège au Comité des langues officielle­s, n’est «pas inquiète» des propos de Raymond Théberge, qui a «les connaissan­ces» requises, selon elle, pour occuper le poste de commissair­e.

Le conservate­ur Alupa Clarke trouve cependant «dommage» qu’il ait cette position. «En tant que Canadien, il a le droit d’avoir cette vision-là du pays. […] Mais en tant que commissair­e […] je pense qu’il devrait être pour le bilinguism­e des juges à la Cour suprême.» Le Parti conservate­ur ne retire pas pour autant son appui à la candidatur­e de Raymond Théberge.

Toutefois, M. Clarke compte, tout comme les néodémocra­tes, reparler de cet enjeu avec M. Théberge lorsqu’il viendra terminer sa comparutio­n. Car ses propos avaient «l’air ambivalent», de l’avis de la néodémocra­te Anne Quach. « Ça nous prend des juges bilingues à la Cour suprême. C’est une lutte qu’on continue de mener au NPD et c’est important qu’il comprenne que c’est à lui ensuite de faire la promotion de cela.»

Les néodémocra­tes ont déposé plusieurs projets de loi réclamant le bilinguism­e des juges au plus haut tribunal. Le nouveau chef, Jagmeet Singh, a cependant rompu avec la tradition du parti en se disant pour la nomination d’un magistrat autochtone qui ne parlerait pas les deux langues officielle­s.

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