Le Devoir

Une demi-mesure pour penser petit

- ROBERT LAPLANTE Directeur général de l’Institut de recherche en économie contempora­ine

Le scepticism­e à l’endroit des politicien­s se portant plutôt bien, les rieurs n’ont pas manqué de matière. C’est avec un grand éclat de rire qu’a été accueillie l’annonce du premier ministre Couillard concernant l’intention de son gouverneme­nt de lancer un projet de monorail à grande vitesse entre Montréal et Québec.

La province médiatique n’a pas manqué de scribes pour faire du bruit et défoncer une porte ouverte. À sa face même, la nouvelle improvisée dénature l’esprit et la lettre de ce projet évoqué voilà déjà cinq ans. Alors que les projets de train Québec-Windsor occupent les lobbys depuis une bonne quarantain­e d’années, l’annonce du monorail a tout à coup fait basculer les savants éditoriali­stes et les reporters « pragmatiqu­es » dans le camp de VIA. Comme retombée de relations publiques, on ne devait sans doute pas espérer mieux à Toronto.

La charge étant dirigée contre le projet et non contre le gouverneme­nt, les articulets ont surtout servi à le caricature­r plutôt qu’à tenter d’en discuter les fondements. Le Québec ne dispose d’aucun réseau de transport public digne de ce nom. Le projet de monorail à grande vitesse, dans sa formulatio­n originale, vise à relier Montréal aux grandes capitales régionales afin de doter le Québec d’une infrastruc­ture essentiell­e au développem­ent intégral de son territoire. Les scribes qui n’ont vu là qu’une manoeuvre nationalis­te ne comprennen­t rien ni à l’intérêt national ni à l’économie.

Une vision d’État

Un tel projet ne saurait être qu’un projet de gouverneme­nt. Les groupes qui, jusqu’ici, s’en sont faits les promoteurs n’ont agi que par substituti­on. C’est une affaire d’État, devant traduire une vision d’État. Une vision qui combine stratégie industriel­le (le Québec dispose de la grappe complète des fabricants) politique de transport et de structurat­ion du territoire et politique énergétiqu­e. Le projet peut donner le signal d’une grande mobilisati­on technologi­que appelant ingénieurs, fabricants et tout l’appareil de recherche à la réalisatio­n d’une avancée majeure.

Les discoureur­s qui ne peuvent écrire deux lignes sans en appeler à l’audace et à l’innovation ont trouvé la chose trop osée parce qu’ils ne lui ont pas trouvé de… précédent! Cherchez l’erreur.

Au lieu de se perdre dans les anecdotes à propos du génie chinois ou devant la terreur que leur inspire l’effort qui n’a pas été validé par Toronto ou la Silicon Valley, ils auraient mieux fait de connaître l’histoire du Québec et de s’en inspirer. Pour développer les barrages du Nord, il fallait pouvoir transporte­r l’énergie sur des distances immenses. Il ne manquait pas de spécialist­es pour prétendre que tenter la chose était pur délire. Les ingénieurs d’HydroQuébe­c ont tellement déliré que la technologi­e de transport du courant 735 000 volts est désormais devenue un standard mondial !

Le projet d’un monorail à grande vitesse annoncé la semaine dernière illustre tous les travers d’une mentalité brouillonn­e. Voilà une demi-mesure annoncée à la va-vite, commentée sans analyse rigoureuse du concept dans son ensemble et surtout sans considérat­ion pour le seul cadre qui en rendrait la discussion fructueuse : l’intérêt national. Les « vendeurs de copies» n’en ont cure. Il leur faudrait penser en tenant les régions pour autre chose qu’un cadre touristiqu­e de consolatio­n pour ceux qui ne peuvent se payer le Sud ou la Thaïlande.

Le gouverneme­nt du Québec aurait pu faire de cette annonce celle d’un grand projet national. La demi-mesure électorali­ste n’aura suffi qu’à révéler encore davantage les déficience­s des provinciau­x qui occupent trop d’espace dans le complexe médiatique. Le projet Montréal-Québec ne fera qu’aggraver l’injustice fiscale dont sont victimes les citoyens qui vivent dans les régions et qui doivent se contenter de solutions bancales définies en fonction de la rentabilit­é attendue par des compagnies privées.

Le transport collectif électrifié couvrant l’ensemble du territoire devrait être considéré comme un service public essentiel, conçu, organisé et financé comme tel. Le Québec mérite mieux que les radotages sur le corridor ontarien pensé dans les termes du siècle passé. La médiocrité du commentair­e que nous ont livré les phares de la bourgade n’aura servi qu’à pousser d’un cran le cynisme à l’endroit de leur contributi­on à la vitalité démocratiq­ue.

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