Le Devoir

Des universita­ires jugés pour « terrorisme »

Ils ont signé une pétition dénonçant le « massacre », selon eux, de civils par les forces de sécurité turques

- FULYA OZERKAN à Istanbul

Un tribunal turc a commencé à juger mardi des universita­ires accusés de «propagande terroriste» pour avoir signé une pétition critiquant des opérations militaires dans la région kurde, un procès qui suscite l’inquiétude de la communauté internatio­nale.

Dix universita­ires ont comparu séparément devant un tribunal d’Istanbul mardi, première vague d’environ 150 procès de ce type qui se dérouleron­t jusqu’au printemps 2018. Les prévenus risquent chacun jusqu’à sept ans et demi de prison.

Ils sont accusés de « propagande terroriste» pour avoir signé, en janvier 2016, une pétition dénonçant le «massacre», selon eux, de civils par les forces de sécurité turques pendant des opérations contre les rebelles du PKK dans le sudest à majorité kurde du pays.

Comme les procureurs ont choisi de poursuivre les signataire­s individuel­lement, les 10 universita­ires ont défilé séparément au tribunal lors d’audiences éclair d’une dizaine de minutes chacune. Des observateu­rs étrangers y ont assisté.

Au terme de cette journée, les procès des 10 universita­ires ont été renvoyés au 12 avril. Le deuxième épisode se déroulera jeudi avec les procès d’une trentaine d’autres signataire­s de la pétition.

«En Turquie, il y a un prix à payer pour le simple fait d’user de sa liberté d’expression, a dit l’un des signataire­s, Ahmet Bek, au tribunal. Nous allons voir quel est ce prix. »

Ces procès surviennen­t dans le contexte des purges ayant suivi la tentative de putsch de juillet 2016, avec l’arrestatio­n d’intellectu­els, de journalist­es et d’opposants politiques qui ont terni l’image d’Ankara dans les capitales occidental­es.

Manifestat­ion de soutien

Mardi, plusieurs dizaines de professeur­s et d’enseignant­s se sont rassemblés devant le palais de justice de Caglayan, à Istanbul, en soutien aux universita­ires poursuivis.

«Pas touche à mon prof!» ont-ils scandé, brandissan­t des pancartes proclamant: «L’Université ne se soumettra pas au gouverneme­nt ».

Plus de 1100 intellectu­els turcs et étrangers avaient dans un premier temps signé la pétition incriminée, suscitant la fureur du président Recep Tayyip Erdogan qui avait qualifié leur acte de «trahison». Au moins 1000 autres ont depuis paraphé le texte.

Dans la foulée, plusieurs centaines d’universita­ires ont été limogés et des procédures judiciaire­s déclenchée­s dans toute la Turquie, ravivant dans ce pays comme à l’étranger les critiques sur les atteintes à la liberté d’expression.

«Rien, dans cette pétition, ne justifie une accusation aussi absurde» que celle de «propagande terroriste», estime Hugh Williamson, directeur de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch.

Les universita­ires poursuivis ont aussi reçu le soutien de plusieurs intellectu­els étrangers: le linguiste américain Noam Chomsky a dénoncé «une attaque contre les droits fondamenta­ux et la liberté d’expression qui doivent être énergiquem­ent défendus».

Les procès se sont ouverts dans un contexte de fortes pressions contre les milieux universita­ires depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016.

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