Le Devoir

Des plaintes passées à la trappe.

Un système parallèle existait pour éviter le déclenchem­ent d’enquêtes à l’interne.

- AMÉLI PINEDA

Pour éviter d’enquêter sur des plaintes visant certains policiers, la Division des affaires internes de la police de Montréal a créé en 2006 un système «parallèle», révèle notamment le rapport Bouchard.

Nommé «INFO», ce système permettait depuis plus de dix ans de mettre en veilleuse des dossiers qui auraient nécessité le déclenchem­ent d’un processus d’enquête comme prévu par la Loi sur la police.

«Selon les enquêteurs rencontrés en entrevue, [le système servait à] soit protéger l’image déjà entachée du SPVM, soit éviter à un membre du service de voir son cheminemen­t de carrière être entravé par une plainte criminelle ou disciplina­ire, ou encore [à] permettre à un policier sur le point de prendre sa retraite de ne pas être pénalisé par le déclenchem­ent d’une procédure criminelle ou disciplina­ire à son endroit», mentionne Michel Bouchard, dans un rapport accablant de 96 pages.

Me Bouchard rapporte entre autres le témoignage d’un ancien enquêteur qui a raconté qu’une plainte pour inconduite sexuelle visant un policier a été écartée parce qu’il devait être promu commandant.

Le SPVM se serait limité à retarder la promotion du policier, alors que les allégation­s concernaie­nt une invitation qu’il aurait faite à une jeune victime d’agression sexuelle pour aller prendre un verre.

Parmi les autres exemples cités dans le document, celui d’un groupe de policiers ciblés par une enquête disciplina­ire qui ont reçu d’avance les questions prévues à l’interrogat­oire.

«[L’enquêteur responsabl­e de l’interrogat­oire] a vite compris que [lorsque son supérieur] lui avait demandé son plan d’enquête, ce n’était pas à des fins de supervisio­n, mais dans le but de fournir à l’avance aux policiers interrogés les questions auxquelles ils auraient à répondre afin de les aider à échapper aux mesures disciplina­ires dont ils pouvaient faire l’objet », mentionne Me Bouchard.

Dossiers épluchés

Pour mener son enquête administra­tive, Me Bouchard a consulté plusieurs de 1005 dossiers couvrant la période 20102017, qui ont été récupérés en février dernier par une équipe mixte.

Ce groupe d’enquêteurs a été mandaté par le ministre de la Sécurité publique du Québec, Martin Coiteux, à la suite d’un reportage de l’émission JE. Deux anciens hauts gradés y avaient affirmé que la Division des affaires internes du SPVM avait eu recours à de la fabricatio­n de preuve pour faire taire des policiers.

À l’amiable

Me Bouchard revient d’ailleurs sur la fin de carrière abrupte qu’ont connue plusieurs policiers qui ont tenté de porter plainte contre la Division des affaires internes. Il dit avoir constaté que le SPVM a préféré négocier à l’amiable, «souvent de façon généreuse», pour éviter de traiter les griefs déposés par les policiers. Des ententes la plupart du temps confidenti­elles.

«Or les sommes nécessaire­s à la conclusion de tels règlements proviennen­t de fonds publics et les contribuab­les ont le droit de savoir comment sont administré­s leurs impôts».

Me Bouchard révèle notamment qu’un policier a fait l’objet d’une enquête sur de possibles liens avec le crime organisé. «Exceptionn­ellement», c’est le gestionnai­re principal des enquêtes internes qui était responsabl­e d’analyser le dossier.

«À la lecture du dossier, il est manifeste [qu’il] a été traité à la légère par ce dernier », souligne Me Bouchard.

Il note également qu’il peut exister un lien d’amitié ou de familiarit­é entre le gestionnai­re et le policier visé.

Attitude de Pichet

Le rapport de Me Bouchard critique sévèrement l’attitude du chef de police Philippe Pichet, qu’il a rencontré dans le cadre de l’enquête.

«Les informatio­ns dont nous avons été saisis récemment dans le cadre de notre enquête nous rendent sceptiques sur l’existence d’une réelle volonté de la direction de vouloir opérer un changement radical dans les façons de faire au SPVM », remarque Me Bouchard, qui soulève à de nombreuses reprises un climat qualifié de «toxique» au sein des affaires internes.

«Notre enquête nous a permis […] de réaliser que le malaise est profond et la confiance du personnel civil et policier à l’égard de la direction, à un niveau extrêmemen­t préoccupan­t », dit-il.

«Ce sont les gestionnai­res qui décidaient du classement d’un signalemen­t et du suivi qui devait être fait » Me Michel Bouchard

« Des informatio­ns importante­s et essentiell­es au déroulemen­t d’une enquête étaient délibéréme­nt soustraite­s du rapport d’enquête pour éviter à certains policiers d’être poursuivis devant les tribunaux » Me Michel Bouchard

«Des rapports étaient suffisamme­nt complets pour alléguer, mais des dossiers attendaien­t » Extrait du témoignage d’un ancien enquêteur

Parmi les exemples cités dans le document, celui d’un groupe de policiers ciblés par une enquête disciplina­ire qui ont reçu d’avance les questions prévues à l’interrogat­oire

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GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE

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